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Deuzeffe pose (toujours) des questions

22/08/2014 22:08

Ray's Day 2014 - Chez les écrivains (encore)

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J'avoue avoir eu du mal à rentrer dans le récit, tant le début est très académique — ce qui n'est pas étonnant, eu égard à l'occupation diurne de l'auteur — expliquant par le menu l'organisation très structurée du vaisseau-monde dans lequel ce déroule la première partie du triptyque Néagè. L'histoire proprement dite démarre lentement, à mon goût ; la candeur des personnages m'a semblé un tantinet exagérée ainsi que les péripéties qui font avancer tant bien que mal les héros. Ce n'est qu'au début du troisième tiers, alors que l'action devient rapide, brutale, qu'enfin j'ai senti la palpitation de cette humanité en semi-perdition. Le style est simple et sert une histoire dans laquelle m'ont manqué épaisseur des protagonistes ou vibration des personnages. Ou je ne suis pas (plus) faite pour les récits à l'antique, les odyssées...

Dans la catégorie Histoires Extraordinaires, celle-ci tient bien sa place. Avec une bonne dose de fantastique, ou de SF, ou des deux. Un duo de personnages principaux, moins d'une dizaine de secondaires, un environnement tout ce qu'il y a de plus contemporain — star richissime de la chanson, émission de télé-réalité, villa somptueuse, île paradisiaque (enfin, presque) — tout est fait pour que le lecteur puisse s'identifier, éventuellement, aux protagonistes, bien que le futurisme technologique s'en mêle. Un peu. Beaucoup. La première partie du récit est presque banale, peut-être un peu longuette, et l'action devient débridée quand enfin le héros commence sa mission. Lutte pour sa survie, fuite devant les dangers de la nature — un peu aidé, quand même — jusqu'au combat que l'on croit être final. Et qu'il refuse. Et alors que l'on comprend que les deux personnages sont bien plus proches que l'on ne pouvait croire, la chute déboule brutalement, un couperet époustouflant, et nous laisse face à nos interrogations.

Une belle nouvelle, de bonne longueur, comme un écho à nos peurs du troisième millénaire. J'ai d'emblée été séduite par le style, descriptif, fourni, riche, qui distille bien l'atmosphère pesante post-apocalyptique. Les thèmes classiques comme l'Homme qui construit son propre malheur ou le héros sans grade sont présents et réconfortants — enfin, si l'on peut dire, vu le contexte... Inversement, la présence d'une héroïne salvatrice est une heureuse surprise. Le déroulé est vraiment trop rapide, à mon goût : alors que le début de l'histoire prend le temps d'installer le lecteur, la suite défile à toute vitesse, s'appuyant sur des rebondissements presque « attendus », et c'est dommage. Le récit ressemble davantage à un script d'un petit roman, d'un moyen métrage qu'à une nouvelle. Et si l'histoire est très sombre et lugubre, la chute laisse entrevoir quelque espoir en ce monde perdu. Bien aimé, comme on aime un fruit pas tout à fait mûr.

17/07/2014 16:28

1Q84 — trilogie (Haruki Murakami ; trad. fr. Hélène Morita)

1Q84

À sa sortie, j'avais été attirée par la couverture sobre mise en exergue dans une librairie à vivre. Vaincue par la taille de ma pile à lire[1], je n'avais osé m'adonner au tsundoku, puis récemment, j'ai trouvé une raison suffisante pour me laisser tenter.

L'histoire est racontée du point de vue des deux héros, un homme, Tengo, et une femme, Aomamé[2], la trentaine alerte. Dans les deux premiers livres, les chapitres alternent entre les deux points de vue ; dans le troisième, un autre personnage fait sa (plus ou moins) brève apparition. Le récit progresse donc lentement, il boucle parfois, se répète, comme pour bien signifier que il y a un élément important. J'ai été un peu déçue par le style (celui de la traduction française, tout du moins) direct, concis, bref, assez pauvre à mon goût. Il me fait penser à un oiseau qui picore, du bout du bec, à petits coups rapides. C'est bien sûr lui qui donne son rythme, sa respiration, au conte, outre l'intrigue, bien entendu ! Il me fait également penser à celui que l'on utilise lorsque l'on rumine, et c'est bien un peu de ça qu'il s'agit. Il est parfois répétitif, comme le sont certains passages qui ne font que rappeler les événements passés : il s'agit encore des mécanismes que l'on utilise dans l'introspection, lorsque l'on se répète à l'envi ce qui s'est passé, comment cela aurait pu se passer, comment cela se passera si... Et si ?
J'ai relevé quelques formules qui m'ont marquée (outre celle-ci) :

  • Livre 1 :
    • « Vous êtes tous prisonniers du lieu, vous n'irez nulle part. Vous ne pouvez même pas reculer. Mais moi non. Moi, j'ai un travail à achever. Une mission à accomplir. C'est pourquoi je me suis autorisée à avancer. » (Aomamé)
    • « C'est comme un petit animal apeuré tapi dans un trou profond, qui aimerait s'enfuir, mais qui n'arrive pas à s'échapper. Tu sais qu'il est caché là, au fond. Mais tant qu'il ne sort pas, tu ne pourras pas l'attraper. » (Komatsu)
  • Livre 3 :
    • « Elle lui apparaissait comme un papillon rare et exotique que l'on peut contempler mais dont il ne faut pas s'approcher. Si on l'effleure, il meurt en même temps que s'évanouissent son éclat et son naturel. Le rêve exotique s'achève. » (Ushikawa)
    • « Dès que l'espérance se lève, le cœur se met en mouvement. Et quand les espoirs ont été trahis, vient le découragement. Le découragement appelle l'impuissance. On baisse sa garde par imprudence. Là réside pour moi maintenant le plus grand péril. » (Aomamé)
    • « — De quelle distance parlez-vous ? — Une distance qui ne se mesure pas. — Comme celle qui sépare le cœur des hommes. » (Tamaru, Aomamé)

Quant au fond de l'histoire, dire que c'est un conte philosophique et fantastique serait certes commode, mais trop lapidaire pour restituer la richesse de l'œuvre. Si riche que l'on peut y trouver plusieurs genres[3] : genre policier (meurtres et enquêtes) ; érotique voire pornographique descriptif ; romance (un des fils conducteurs) ; fantastique et merveilleux (au sens de la SFFF ; un autre fil conducteur) ; militant (lutte contre la violence sexiste ou sectaire) ; introspectif (à propos du métier d'écrivain, par exemple, ou de sa propre vie). L'intrigue est simple : vingt ans après, deux êtres qui se sont rencontrés très brièvement mais de manière très forte, dense, seront-ils capables de se retrouver, intacts bien que modelés par la vie ? Lui, Tengo, promis à un avenir brillant, mène une vie simple, bien réglée, presque monotone, comme s'il la subissait, jusqu'à ce que la fantaisie fasse irruption dans son quotidien. Elle, Aomamé, destinée à une existence routinière, mène rondement son quotidien, agité, accumulant les aventures (de tous ordres) et les défis, jusqu'à l'ultime. Un homme faible, une femme forte ? Le Ying et le Yang ? Pas sûr, mais j'aime bien l'idée que ces êtres sont les deux faces, les deux parties d'un quelqu'un, qui se doivent d'être réunies. Sinon la vie n'a pas de sens. À ce propos, romantique ou sublime, s'ajoute, comme une basse continue, celui de la féérie, du merveilleux, du mystère : comment sommes-nous capables d'intriquer ce qui nous semble surnaturel et ce qui nous paraît être la vie réelle ? La forme narrative fait la part belle à la réflexion sur le temps (qui passe ou qui boucle ?) et les étapes de nos vies : comme une quête initiatique, voire un jeu de rôle, chaque héros accède à la suite de sa vie (au niveau suivant ?) lorsqu'il y a été soumis à une épreuve (intrinsèque ou imposée) qu'il a assimilée avec brio. Et tant qu'il est coincé dans un épisode, il rumine. Et le récit boucle. Mais il met en évidence que la rumination (analytique) est indispensable pour que le temps se débloque et que la vie s'écoule. Parfois, on aimerait bien connaître également le destin de ceux et celles qui les ont aidés à franchir les étapes : on reste quelquefois sur sa faim quant au devenir de certains personnages dits secondaires.

C'est le premier Murakami que je lis[4] et j'ai été triste de quitter Tengo et Aomamé. Parce qu'ils continuent de vivre loin de mon regard. Parce que leur histoire résonne très douloureusement en moi, comme les reflets d'un paradis rêvé et aussitôt perdu.

Notes

[1] J'ai aussi la sale manie d'acheter le moins de livres possible à leur sortie, comme si je les laissais faire leur chemin jusqu'à moi...

[2] Je ne sais si quel est l'usage japonais des noms propres, mais le héros est nommé par son prénom et l'héroïne, par son patronyme.

[3] Ce qui décevra certainement les fans d'un seul de ces genres.

[4] Personne n'est parfait, en ce bas monde.

01/04/2014 16:37

Les enfants du feu (Anne Rossi)

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Je suis tombée dans la lecture numérique à cause de deux fourbes compères[1] et j'ai commencé à écumer les bons éditeurs et les bonnes librairies de ce domaine[2]. Je vais donc me fournir chez 7switch qui fournit des livres élevés sous la mère et dont certains sont garantis sans OGM, euh... DRM[3]. Et comme tout bon consommateur qui se respecte[4], j'ai cherché des ouvrages gratuits[5], plutôt des premiers tomes de séries SFFF. J'ai donc récupéré Les enfants du feu N°1, d'Anne Rossi, dont le résumé et l'extrait sont prometteurs.

Ce premier épisode est bien bâti, mettant en place les personnages principaux, le thème central (les Écailleux aux pouvoirs surnaturels, la magie), même si l'on a l'impression d'être jeté en pleine histoire commencée plus tôt. Ce premier tome m'a tellement ravie que j'ai acquis tous les autres épisodes de la série[6]. J'ai un peu déchanté à la lecture du deuxième épisode : il m'a semblé poussif, j'ai eu du mal à le finir, mais je l'avais, alors, autant le lire. Les suivants ont été littéralement dévorés !

Longtemps avant les Passeurs d'ombre, un dragon-soleil brillait dans le ciel. Les hommes régnaient alors sans partage sur la terre. À la lumière de l'astre reptilien, s'était épanouie une brillante civilisation. L'Empire étendait son aile armée sur d'immenses territoires, où il faisait régner la paix et la prospérité. Puis un jour, le dragon-soleil commença à perdre ses écailles. Chaque être humain touché par la chute de l'une d'elle se transformait en autre chose.

Ainsi commence la présentation du premier épisode. Le toucher de l'écaille confère aux êtres humains des pouvoirs magiques : vision des auras, maîtrise de la foudre, télépathie, métamorphismes en tout genre (et pas forcément des plus gentils), végétalisation en accéléré, etc. La société humaine « normale » rejette ces êtres augmentés qui s'exilent vers leur terre promise au delà des mers connues. Au cours de leur voyage maritime, à la manière d'Hercule, les parias doivent engager le combat avec divers monstres pour atteindre l'étape, j'allais dire le niveau, suivant : c'est ainsi qu'ils affrontent un léviathan, un tigre mangeur d'homme, des sirènes ensorcelantes (tautologie), des pirates, une licorne (pas gentille du tout). Sur chaque île qu'ils abordent au cours de leur périple, nos multiples héros découvrent un des leurs, fée, vampire ou métamorphe, qu'ils embarquent volontiers avec eux. Au long des sept (comme c'est bizarre...) épisodes, chacun consacré aux exploits d'un ou une écailleuses, on baigne dans la fantasy et la romance (puisque c'est dans cette catégorie que l'auteur classe sa série), romance qui unit à chaque fois des couples improbables, romance parfois torride...

C'est une histoire qui m'a fait passer un très bon moment, complètement déconnectée du réel, exactement ce dont j'avais besoin au moment de la lire : c'est un très beau conte pour enfant éternelle adolescente.

Notes

[1] @TheSFReader et Neil Jomunsi, bien sûr !

[2] Suivant fidèlement les conseils du lecteur fou : lui

[3] En revanche, pas encore réussi à dompter le moteur de recherche du nid :-(.

[4] Faut bien endosser ce rôle, de temps en temps, histoire de voir « comment ça fait ».

[5] Sérieusement, ce n'est pas une histoire de fric : je suis capable de claquer un bon paquet de fric dans chaque librairie dans laquelle je rentre. À chaque fois, ma carte bleue en sort toute ramollie d'avoir tant chauffé. Et si c'était une histoire de fric, je ne me serais pas abonnée au Projet Bradbury, poussée par le bec à oreille.

[6] Tu vois, ce n'est pas une histoire de littérature gratuite.

07/04/2012 23:58

Le système Victoria (Éric Reinhardt)

Le système Victoria

Après Cendrillon, dans lequel il y a quelques superbes pages qui décrivent bien les mécanismes de trading de la décennie précédente ayant eu les conséquences que l'on sait, j'ai lu, non pas la suite, mais l'opus suivant, Le système Victoria, donc.

Dès le début, on sait que ça va mal finir. OK. On attend donc, tout au long du bouquin, que l'histoire veuille bien avancer. Elle avance, revient en arrière, reprend son élan. Ce n'est qu'après le troisième tiers (héhé), que j'ai enfin eu envie de dévorer le livre.

In fine ? Un livre pas inintéressant quant aux mœurs de la finance (encore...) et du BTP. Mais glauque, très glauque quant à la nature humaine (en doutait-on ?). Avec de jolies pages érotiques, à la limite du porno.

À lire si on a bon moral.

29/04/2006 12:08

Introduction au droit martien

Introduction au droit martien

En flanant chez mon dealer libraire préféré, à l'étage "universitaire", j'ai l'oeil attiré par un kangourou lisant le code civil. De plus près, je vois qu'il s'agit du premier roman juridique, également roman de science-fiction délirant qui constitue aussi une véritable initiation à la méthode et aux grands problèmes juridiques.

Dans la préface d'Hervé Croze, on apprend que le présent ouvrage est une réédition, amendée, d'un opus paru en 1977, compilation de textes rédigés par Philibert Ledoux entre 1974 et 1976. Je me demande encore si la préface est elle aussi de la SF...

Au gré des pages, on navigue entre des chapitres du manuel de droit et ceux qui tiennent plus du journal de bord voyage de P. Ledoux.

P. Ledoux est un professeur de droit, d'origine française, qui débarque sur Mars. Il a été découvert que la planète Mars est peuplée de martiens[1], grands hommes verts, qui savent tirer le meilleur profit de leur planète : moyens de transport (aériens et fluviaux) et habitations biologiques[2] ou gisements d'espèce de gros vers à soie dont on tire de superbes tissus qui sont commercialisés sur Terre. La civilisation martienne, apparemment fruste, semble être bien organisée, quoique différemment de celle que connaît P. Ledoux. Le professeur vient sur Mars dans le but d'étudier le droit martien, son dada, depuis sa thèse, étant le droit comparé, comparé au droit français, bien évidemment, et plus particulièrement au droit civil. Il ne se sépare jamais de son code civil.

On trouve des images d'Epinal rassurantes pour le lecteur : les hommes verts, les grands fleuves de Mars, le bon sauvage, la télépathie, la guerre froide[3] personnifiée par une superbe colonelle de l'Armée Rouge et un charmant agent de la CIA, les réserves de martiens et les forts tazuniens.

Sociologiquement et culturellement, on retiendra que les martiens n'ont aucune notion de la transcendance, et donc d'un dieu ; que tous les êtres vivants sont égaux, ce qui fait que la mort d'un martien n'a pas plus d'importance que celle d'un animal[4] ; que la société martienne est organisée en gal, regroupements familiaux ou professionnels, d'intérêt commun ; que les habitations sont propriétaires de leurs habitants[5].

Du point de vue du droit, Je suis restée sur ma faim, probablement parce que totalement béotienne en cette matière. Seule la plaidoirie pour répondre au thème imposé Par l'effet d'un souffle décolla une part de la terre de l'Un et sa Famille, qui, ayant volé, plana et tomba sur la montagne de l'Autre et de sa Famille. De qui est la part de terre atterrie et qui, quoi peut y faire ? m'a quelque peu enchantée. Le manuel de droit proprement dit est intéressant, tant en ce qui concerne les prémisses que la méthode, mais ne va pas assez loin à mon goût.

Enfin, un joli clin d'oeil : les martiens ont, non pas des livres pour faire passer leurs pensées à la postérité, mais des pierres de souvenirs. Réflexion de P. Ledoux, à l'utilisation de l'une de ces pierres : qui pourrait croire, en effet, sur Terre, que l'on pût stocker dans un morceau d'oxyde de silicium du son et même des images ?...

Notes

[1] On y aurait découvert des vénusiens, on en aurait été fort désappointé

[2] Au premier sens du terme, c'est à dire doués de vie

[3] On est à la fin des années 1970, donc bien lointain est le commencement d'une idée de la chute du mur de Berlin

[4] Sauf peut-être celle d'une soucoupe martienne

[5] Logique, elles sont vivantes et elles semblent être antérieures à l'existence des martiens

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