Il y a trois ans, Jean Ziegler, alors rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation auprès de la Commission des droits de l'homme des Nations unies, citait dans le film We feed the world (sorti en avril 2007 mais tourné en 2005)[1] une conclusion de la FAO : l'agriculture mondiale est en mesure de nourrir 12 milliards de personnes, soit [environ deux fois] plus que la population mondiale ce qui revient à dire que l'agriculture mondiale produit deux fois plus que la population mondiale ne consomme.

Aujourd'hui, la directrice du Programme Alimentaire Mondial (PAM) de l'ONU indique que Le monde a consommé plus qu'il n'a produit ces trois dernières années.

Donc :

  • soit en trois ans, la démographie mondiale a subit une croissance exponentielle ; ce n'est pas le cas : depuis les années 1990, l'augmentation de la population mondial décroît d'environ 1 point tous les 5 ans[2]. Le facteur de croissance est donc en diminution ;
  • soit en trois ans, la production de denrées agricoles s'est dramatiquement effondrée et les stocks ont été vidés ; effectivement, c'est un peu dans ce sens que les choses se sont produites : pour ce qui concerne les céréales (base de notre alimentation, quand même !), la production est en baisse depuis 3 ans (mais avec des perspectives de croissance pour 2008) et la production estimée pour 2007 est de l'ordre de celle de 2003 (et supérieure à celle de 2005) et les stocks ont donc été entamés, même s'ils représentent encore un matelas d'un peu moins de 20%, d'après le dernier bulletin de la FAO.

Si on résume et qu'on explicite, la production agricole est largement en mesure de nourrir tous les terriens mais ils ne peuvent se nourrir parce que les prix des denrées augmentent vertigineusement.

Les stocks de céréales représentent encore 20% des céréales utilisées : imaginez une famille qui, à la veille d'aller faire ses courses alimentaires de fond avait encore 20% de réserve dans ses placards et réfrigérateurs ou, vous, à la fin du mois avant versement de votre salaire, qui avez encore 20% du dit salaire en réserve sur votre compte en banque. Ce n'est pas rien, n'est-ce pas ? Même si les mois précédents il vous restait entre 23 et 26%, certe votre réserve fond mais elle est toujours confortable[3], non ? Cependant, on prend la baisse dite catastrophique des stocks comme une des raisons de la pénurie alimentaire. Juste la baisse, pas la valeur absolue. Bizarre comme raisonnement. Ah oui, j'oubliais, c'est la loi du marché, celle de l'offre et de la demande... Mais d'un autre côté, on apprend, en gestion, qu'avoir du stock, ce n'est pas bien, parce que ça coûte. Allez-y comprendre quelque chose...

Bien sûr, la réduction des stocks est une explication avancée pour justifier l'augmentation des prix. Ce n'est pas la seule comme l'a analysé la FAO ou d'autres. Parmi toutes les raisons qui sont mises en avant, une seule est d'origine naturelle : les aléas climatiques dans les régions productrices, comme les sècheresses et les inondations [4]. Toutes les autres, toutes, sont des actions volontaires humaines. Alors ?

Alors, l'ONU met en place une réponse unifiée à la crise alimentaire mondiale. Certes. Beaucoup de bonnes idées, de nombreux moyens (sissi) pour les mettre en œuvre, une volonté manifeste, beaucoup d'espoir mais une seule réponse à l'urgence : davantage de moyens financiers. Ou comment se plier aux diktats du marché.

Et pourtant, il existe des résolutions simples (simplistes ?) à prendre[5] :

  • pour l'urgence :
  1. interdire la spéculation sur les denrées alimentaires là, tout de suite, maintenant et pour au moins 3 ans ;
  2. conséquemment, fixer un prix en monnaie constante (en dollars constant, par exemple, puisque c'est aprai-il la monnaie internationale mais qu'il n'est pas au mieux de sa forme) ;
  3. interdire la production agricole à visée non alimentaire (on peut moduler pour certaines productions) ;
  4. retirer la possibilité à l'OMC de se mêler d'agriculture et subséquemment rendre caducs tous les accords commerciaux de ce domaine qui ont été signés sous son égide ;
  5. contrôler strictement les exportations de produits agricoles de façon à ce que cette fuite de denrées ne se fassent pas au détriment de l'alimentation des populations du pays exportateur ;
  • pour le moyen terme :
  1. n'exporter que le surplus nécessaire de denrées vers les pays traditionnellement producteurs de ce type de denrées : je pense par exemple, aux bas morceaux de poulet européen exportés vers des pays d'Afrique ou aux fraises espagnoles vers la France ou au pommes d'Amérique du Sud vers l'Europe ;
  2. consacrer la majorité des aides au développement actuellement versées aux pays en détresse alimentaire au développement des cultures vivrières locales et de petite échelle et donc remettre en culture toutes les parcelles fertiles mais abandonnées ;
  3. imposer à l'industrie agro-alimentaire de fabriquer des produits bénéfiques pour la santé et exigeant moins de produits de base.

Entre autre.

Une dernière chose : parmi les 2 milliards d'Hommes malnutris, il y en a 1,2 milliards sur-nutris et 0,8 milliards sous-nutris.

Notes

[1] Site officiel

[2] + 9% entre 1990 et 1995, +8% entre 1995 et 2000, + 7% entre 2000 et 2005 et la propective pour 2010 va dans le même sens

[3] oui, je sais, 20% d'un smic est largement plus petit que 20% d'un salaire de cadre...

[4] et encore, on pourrait peut-être ne pas les considérer tout à fait comme entièrement indépendantes des activités humaines

[5] certaines ont été effectivement prises par l'ONU, mais pas les plus drastiques