C'est avec grand intérêt que j'ai lu la tribune co-signée par Laurent Chemla et Éric Walter à propos de héros d'Internet fatigués. Si la conclusion n'est pas étonnante, j'étais curieuse de découvrir le fruit d'une alliance aussi naturelle que celle de la carpe de l'ours et du lapin. Un passage a particulièrement attiré mon attention

On peut imaginer qu'en voyant le public s'emparer massivement des outils d'autopublication, on n'a pas vu venir le temps des réseaux sociaux fermés : pourquoi les gens iraient-ils s'enfermer dans des environnements privateurs de libertés quand ils ont l'infinité de l'espace électronique à leur disposition ?

Pourquoi les humains, ayant enfin un formidable outil de liberté (d'expression) se réfugient-ils dans un cadre qui leur est imposé et dont les limites sont de plus en plus resserrées, de plus en plus attentatoires à leur intimité ? Qu'y a-t-il au delà de l'antienne Une grande liberté implique une grande responsabilité ?

Imagine-toi, quand t'es dans le désert, de sable ou de glace depuis trop longtemps, sans repère, balise ou limite : tu te sens... mal. Tu n'as plus de limite à transgresser, personne ne t'impose quoi que ce soit : tu dois, toi-même, seul et en conscience, te contraindre, te construire un cadre, t'autonomiser. Tu ne sais pas faire, tu n'es qu'un grain parmi le autres, qu'un cristal, blanc sur blanc. Tu es seul, renvoyé à ta propre insignifiance au milieu d'un rien minéral qui ne renvoie aucune image, aucun son. Bref, tu es perdu[1]. Et puis on t'offre une oasis, un refuge, des murs que l'on a construit pour toi : soulagé, tu t'y précipites, troquant un peu beaucoup de ta liberté contre un sentiment de sécurité, juste une sensation...

J'ai récemment lu un article démolissant de façon un peu caricaturale le mode d'éducation suédois. Je passe outre les évidences qui ne méritent pas de discussion et qui ne sont que le reflet du respect que l'on doit à tout être humain mais de la même manière que le message de Françoise Dolto a été très mal interprété, il semble que la pratique de l'écoute active ne se résume plus qu'à l'écoute...

Il faut un cadre, pour pouvoir s'y ébattre en toute liberté et lorsque l'on a acquis les moyens - physiques, psychologiques, etc. - de dépasser le cadre imposé, on s'en crée un autre. Le public d'internautes, dont parlent Laurent et Éric, ne semble pas encore avoir assez d'imagination et de confiance en soi pour bâtir ses propres limites.