waldganger.jpg J'ai un appart. à Yumington, sur les quais, depuis bientôt deux ans. Et il est difficile d'avouer que je n'ai jamais pris de temps d'y mettre les pieds. L'époque « Urban » a filé sans moi, et c'est sans m'en rendre compte que l'époque « dark urban » a pointé le bout de son nez et de ses flingues. Si tu as suivi le lien précédent[1], tu as compris que j'ai plongé dans l'univers de Wadlgänger[2]. Véritable plongée, en quasi apnée tant j'ai été happée, transportée par l"histoire ce héros, vraiment pas comme les autres, loin s'en faut. Impossible de quitter plus de quelques heures ces quelque six cents pages (me dit ma liseuse) tant la narration est efficace, « tourneuse de pages », tant le récit est haletant, extrêmement riche, prenant.

Un personnage principal, ancien militaire de son état, gravement blessé au combat, empli de haine, de violence, d'esprit guerrier — « C'est un être archaïque, reptilien, qui surgit en moi. Un âme mauvaise et assoiffée de mort. ». Une ville américanoïde, avec ses quartiers bourges, ses quartiers chics, et ses bas-fonds — Yumington, donc — populaires, populeux, vivant de trafics, d'embrouilles, de business, Yumington, verrue purulente que le gouverneur de la ville aimerait bien voir disparaître pour de bon (et pour installer des quartiers bobo au passage). Jusque-là, c'est bien, mais sans plus, pas de quoi se précipiter chez son libraire préféré pour acquérir l'ouvrage[3]. Sauf que. Le militaire a guéri miraculeusement après avoir été en contact avec un objet bizarre, il lui semble qu'il a des pouvoirs — inhumains — mais lesquels ? Il faudra attendre la toute fin de l'histoire pour en saisir toute l'étendue.

Au début du récit, on a de la compassion pour W. — Blake, pour le commun des mortels : il est mal en point, se remet difficilement de ses blessures, revient innocemment mais difficilement à la vie civile qui lui fait d'horribles « cadeaux », devient un « loup solitaire » (ou presque). Puis il commence à devenir antipathique, avec cet air de Monsieur je sais tout, je prévois tout, je suis inaltérable[4] attitude de qui doit faire face à quelque chose qui le dépasse complétement. C'est alors qu'il accepte son nouvel état, éclairé par son mentor. On aimerait bien qu'il devienne chevalier blanc , il n'est que le rouge, qui porte la guerre, la provoque — parfois bien malgré lui — l'organise même, pour le plus grand soulagement des habitants de Yumington. Dans une trame de thriller classique — corruption des édiles, quartier pouilleux à assainir, lutte du entre le bien et le mal — des ingrédients ésotériques viennent relever à un haut niveau l'histoire de ce mec paumé. Il serait bien présomptueux d'affirmer avoir tout saisi de ce récit richissime, porté par un style percutant et efficace, où se mêlent philosophie et vie quotidienne, histoire de l'humanité et banalité urbaine, pensées hautement intellectuelles et brutes épaisses.

Quelques passages que j'ai relevés :

  • « Halluciner son existence est la seule voie pour celui qui ne veut pas se tirer une balle. »
  • « Nous nous heurtons tous aux parois invisibles de nos illusions. »
  • « Peut-être faut-il mourir pour éprouver une telle sensation de liberté. Mourir socialement et disparaître. Devenir invisible aux yeux des vivants. Ne plus dépendre de qui ou de quoi que ce soit. Arracher les chaînes qui nous lient inéluctablement les uns aux autres. N'être plus rien. Se calciner. »

Ce héros, qui ne veut pas prendre partie, dit-il, pour l'un ou l'autre camp, qui désire garder son libre arbitre, qui sent qu'il est le jouet de forces qui le dépassent et qu'il essaie néanmoins de s'approprier, ce héros donc, finira par prendre un parti, malgré lui, celui de l'humain. Jusqu'à la fin, on y croît. Jusqu'à ce qu'il relance la roue de l'histoire, de la lutte incessante entre le bien et le mal : lutte indispensable pour l'équilibre du monde ?

Notes

[1] Et le titre du billet, ou alors tu es particulièrement distrait.

[2] Petite précision sémantique : le héros se surnomme Waldgänger, c'est même le titre du livre, dis-donc. Et pas *Le* Waldgänger. Et donc je parlerai *de* et non *du* W. Sauf exceptions, bien entendu.

[3] Sauf si on est très très accro. aux militaires défouraillant au moindre bruissement d'une aile de papillon ou aux cours des miracles urbaines

[4] c'est plutôt vrai, mais pas tout le temps.