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Deuzeffe pose (toujours) des questions

Mot-clé - Conte de Noël

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04/01/2015 10:14

Bientôt la lumière ?

— 31 décembre 1878

Sous mes doigts, la pierre est froide, scintillante de gel. Pourtant, je me sens bien, assis sur mon banc de granite, le dos contre la façade de la maison qui régurgite la chaleur dont elle s'est gavée toute la journée. C'est le soir, c'est mon moment. Celui où l'ouest est gris foncé alors que l'orient est noir d'encre, cet entre-deux où la nuit se dévoile alors que le jour n'est pas encore tout à fait porté disparu. J'ai parfois l'impression que mon banc se creuse, à l'endroit où je m'assied toujours. Quelle illusion ! Comme si ma frêle carcasse était assez puissante pour raviner mon assise de pierre grise et dure. Il a enfin neigé, il y a quelques jours, salut à l'hiver qui déboulait du plus profond de la fange automnale. Le premier quartier de Lune recouvre ma montagne d'une houppelande de diamants : je n'aurai jamais assez de trois éternités pour tous les admirer. Dans le ciel clair comme le cristal, Orion me sourit : je l'aime bien, ce gros bonhomme d'hiver. L'ubac, en face de moi, porte bien mal son nom ; il ruisselle de lumière, lisse comme un lac gelé, creusé comme la croupe de nos chevaux. Si je n'y prenais garde, j'irais m'y enfouir tout l'hiver et dormir, dormir... Tout là-haut, le col, entre les deux mamelons — comme les appellent les garis d'ici, en ricanant bêtement — se fond dans le ciel d'encre pâlie par la lumière de Séléné. Le chemin de mulet qui en descend jusqu'au village est effacé : à peine est-il marqué par une légère dépression bordée de bosses buissonneuses. Les yeux mi-clos, je goûte l'air froid qui pétille, le silence plein, franc qui coule dans notre vallée reculée. Ma tête vogue en des contrées désertes, lointaines, où tout est à découvrir et pendant qu'elle baguenaude, le coin de mon œil suit un petit point noir, une bille qui roule lentement dans le passage venu du col. Le temps que je revienne sur mon banc, la tâche noire est à mi-pente et d'un point, elle est devenue une espèce d'échalas dégingandé qui descend à grands pas vers le village. Suis-je victime d'un coup de Lune ? Je ne me suis pas assoupi suffisamment longtemps. Alors ? Alors, il y a bien un humain qui vient nous rendre visite, en fin de cette terrible année.

Devant moi se tient la silhouette, occultant le demi-globe lumineux et à contre-lune, je ne distingue rien de ses traits ou de sa chevelure. Sans rien dire, avec un léger soupir, de soulagement dirait-on, l'individu se coule le long de la façade et s'échoue sur le banc, à côté de moi. Je le regarde : la lumière blafarde illumine un instant son regard et le bleu scintillant m'aveugle. Il a les yeux les plus bleus que je n'ai jamais vus, azur mais scintillant de mille éclats : des étoiles en plein jour ! Il baisse les paupières et tout d'un coup, c'est le paradis perdu.

— Bonsoir Joël.

La voix est indubitablement masculine, légèrement voilée, comme emmitouflée dans une écharpe de brume légère. Donc, c'est un homme. Qui connaît mon prénom.

— Je viens d'au-delà les trois montagnes. Les forêts, les ruisseaux, les busards et les loups n'ont eu de cesse de me montrer le chemin vers toi. J'ai posé une question à Aglaë, notre Sagesse. C'est la première fois je crois, que je l'ai entendue sans voix. Après un long moment de silence où ses yeux discutaient avec les miens, elle m'a conseillé de venir te voir. Elle m'a assuré que la campagne saurait me guider jusqu'ici. Me voilà donc. Avec ma question.

— Quelle est-elle ?

— Pourquoi fait-on des cadeaux aux gens ?

J'ai déjà répondu, il y a bien longtemps.

— Mais...

Je ferme les yeux à mon tour, rassemblant toutes les bribes éparses de ma sagesse. Ainsi donc, c'est Aglaë qui me l'envoie. Mais pour quelle obscure raison n'a-t-elle pas elle-même élevé cet homme vers les bas fonds de la connaissance ? Ça ne lui ressemble pas, elle ne délaisse jamais l'occasion d'instruire quelque âme assoiffée.

— Mais Aglaë, ma mère, m'a assuré que tu me montrerais comment le savoir.

Je sais donc pourquoi la garce n'a pas pu lui répondre.

Nous nous réfugions au creux de ma demeure, simple masure de granite solide, aux murs aussi épais que la neige sur le haut de la montagne. Dans l'âtre, le feu, fidèle espoir, se tient bien. Débarrassée de sa pelisse, la silhouette est aussi mince que je l'avais imaginé ; sa chevelure est robe de corneille, noire à reflets bleus qui éclaboussent ses prunelles. Je lis dans ses traits le visage d'Aglaé, mais ses yeux viennent d'ailleurs, de bien plus loin que les trois montagnes.

— Qui es-tu, fils d'Aglaé ?

— On me nomme Damien. Le coureur de la nuit, l'amant des forêt, le confident des corneilles, le voleur d'étoiles... Je ne les ai pas volées, pourtant. Elles sont nées dans mes yeux en même temps que moi, ou peut-être avant. Mais tous, tous disent que je les ai dérobées à la voûte. Pourtant, la nuit, elle sont toujours brillantes dans le ciel : les vieux les racontent aux enfants, les femmes sont jalouses de leur éclat. Je ne les ai pas volées ! Tous viennent me regarder, tous viennent contempler : devrais-je donc m'aveugler de soleil pour qu'enfin on cesse de me traiter ainsi ?

— D'où viens-tu, Damien ?

— Quelques mois après ma naissance, ma mère m'a confié à une cousine, de l'autre côté des trois montagnes. Elle avait une petite fille d'à peu près mon âge et assez de lait pour nourrir les nourrissons de toute la vallée. C'est ainsi que j'ai changé de famille, adopté une autre mère et que m'est échu une sœur de cœur. Hermoniæ... Mon amour, ma vie... Elle riait, je riais. Elle pleurait, je pleurais. Je pouvais sentir toutes les vibrations de son être résonner dans mon cœur, dans mon âme. Nous ne faisions qu'un, de tout temps, en tous lieux. Autour de nous, rodait l'âme de nos mères, comme une cape de bienveillance, préservant notre monde de toute incursion néfaste. Jusqu'au jour...

Damien se tait, ses yeux prennent la couleur de la nuit et seules les étoiles les éclairent. Les flammes chuintent et crépitent, leur orange se fait ocre, les brandons frémissent. La chanson du feu charme Damien qui reprend :

— Un matin, à mon réveil, elle n'était plus là. Plus aucune trace d'elle ne subsistait, comme si elle n'avait jamais existé. Bizarrement, je me sentais plus fort, à peine triste, tout juste mélancolique. Avec au cœur une étrange chaleur baignant mon âme d'une lueur nouvelle. Dans ma tête, résonnait ce précepte : « Mourir, c'est aussi accepter de recommencer. » qu'un conteur[1] de l'autre côté du fleuve m'avait un jour asséné. Je ne me sentais pas à l'article, pas du tout. J'avais peut-être envie de disparaître au monde, une mort aux autres, pour de rire. Ma mère adoptive a scruté mon regard, m'a fait un signe de tête, indiquant l'endroit où le soleil se lève. Et j'y suis parti.

Toute la nuit, à la lueur du feu, Damien me raconte son périple, me parle des gens qu'il a aidés, de ceux auxquels il a laissé de l'espoir dans les yeux, de ceux qu'il n'a pu sauver, de ceux qui l'ont chassé ; il me conte ses courses dans la nuit, ses fuites devant les bêtes sauvages tout autant affamées que les hommes par cette guerre impie qui s'alanguit dans le pays depuis des lustres ; il me dit qu'il ne se sent pas seul dans sa tête, dans son corps, comme si, éponge, il était imprégné de l'esprit de sa sœur volatilisée. Il ne comprend pas, ne cherche pas trop à résoudre le mystère non plus, accepte son nouvel état comme on accepte que le ciel soit azur, la campagne verte, la neige froide et mouillée, et l'Astre brillant.

La nuit a glissé sans bruit sur la pente neigeuse : déjà l'autre côté de l'année pointe au dessus de l'ubac. Le soleil traverse le fénestron de ses doigts raides, enjaunit la masure, nous trempe dans un cagnard vif et doux à la fois : aveugles, nous ne nous entendons plus. La porte vole, poussée par un grand courant d'air froid et ocre. Un éclat de rire tinte, un ange nous salue : « Joël, on est déjà demain : viens vite, le soleil commence sa danse ! » Je regarde Damien, et dans ses yeux, le diamant se fait quartz sulfureux. Je regarde la toute belle qui vient d'entrer : ses prunelles bleues brillent de mille étoiles argentées, sa tête blonde est auréolée par la lumière naissante, ses joues ont capté la lueur du feu. À sa suite, s'engouffre une bourrasque, un blizzard étrangement tiède qui les enceint, les embrasse, les tient serrés l'un contre l'autre, prisonniers du vortex rigolard. Dans un dernier hurlement, la tornade s'enfuit de chez moi emportant avec elle Damien et Hermoniæ.

Depuis, tous les matins, à l'orée du jour, devant le pas de ma porte, apparaît la lumière d'une double étoile.

Note

[1] il se reconnaîtra...

01/01/2014 00:00

Allez, bonne année quand même ?

Mon ancêtre, Joël Noyeux[1], aime à se faire chroniqueur de la vie de son bourg. Dans son livre de vie, un premier janvier, on découvre ce récit.

Malgré l'hiver qui est venu, les temps sont moins froids et les jours moins obscurs, même si des vieillards sont partis et des hommes perdus à jamais pour les leurs. Au bout du village, dans son château — comme les enfants nomment sa coquette bâtisse bourgeoise — Hécate geint sans cesse : l'esprit de cette plus que centenaire bat la campagne et ressasse les belles histoires du temps passé. Elle saoule Artemis, sa jeune servante de ses souvenirs qui pétillent comme le frais champagne coulant à flot au milieu des fêtes passées.

— Quand j'étais jeune, vois-tu ma petite Artémis, la roseraie embaumait de mars à novembre et tous les jours, Andéméon, mon défunt jardinier adoré...

Ce matin-là, elle ne peut continuer à dévider ses souvenirs dans l'oreille de la soubrette, tant les larmes envahissent ses yeux et les sanglots serrent sa gorge.

— Mère, je n'en puis plus ! s'écrie Artémis, courue se réfugier dans le giron de Solène. J'en ai assez d'entendre les plaintes de cette vieille rombière. Mais quoi ? Elle a toujours eu la vie facile, confortable : une belle maison, un époux avenant et bien pourvu, une domesticité nombreuse et prévenante, s'activant jours et nuits sous la férule de la gouvernante, fille de sa nourrice. Elle n'a jamais eu à tirer l'aiguille, ne sait ce qu'est s'occuper d'enfants : son seul souci quotidien est de choisir, sans faire de faute de goût, l'épingle à chapeau assortie à son mantel. Elle ne s'intéresse à rien d'autre qu'elle, elle

— Ma fille, ma fille, je te sens agacée par les gémissements de la vieille dame, mais vois-tu, comme tu le dis, elle ne peut trouver d'autre plaisir que la satisfaction de s'occuper d'elle. Toute sa vie tourne autour de sa propre personne : ne crois-tu pas que son champ d'expérience en est tout autant limité ? Et malgré l'insondable profondeur de la nature humaine, crois-moi, elle en a eu vite fait le tour. Et cela ne fait pas son bonheur. À bien y penser, on peut même dire qu'elle est malheureuse.

— Mère ! Comment peut-on dire ça ? Certes son époux n'est plus, mais il n'a pas disparu sans laisser de traces, comme notre père : il s'est éteint, dans ses bras, qui plus est ! au terme d'une vie commune et paisible avec sa chère épouse. Elle n'a pas eu la douleur de perdre des fils dans la force de l'âge, de fermer les yeux d'une fille qui aura six ans éternellement. Son dos est droit et la peau de ses mains est fine et douce. La nuit, elle dort, elle ne

— Ma fille, sous-entendrais-tu que je me dois d'être plus malheureuse qu'elle puisque la vie m'a offert les épreuves que tu décris ? C'est bien ça ? Sache que ce fût une cavalière émérite, aguerrie et agile : en cadeau de noces, son cher époux lui a offert le plus beau des haras avec les plus belles bêtes que l'on puisse trouver dans nos contrées. Il fallait la voir, à travers les brumes de l'aurore, chevaucher sa jument grise ou son étalon noir et filer dans les chemins, au milieu des baliveaux, s'épuisant dans une course qui la laissait pantelante de plaisir. Il fût un jour où son état devint intéressant. Son époux lui ferma alors les portes de l'écurie : cela la rendit folle de manque. S'attachant la complicité de quelque palefrenier béat, elle passa outre l'interdiction maritale et maintint ses chevauchées matinales. Jusqu'à chuter, un jour, assez lourdement pour la laisser inconsciente au bord d'une ravine : elle perdit l'enfant qu'elle portait. Par deux fois encore, elle fût grosse et par deux fois aussi, les cavalcades furent fatales à son enfant. Le médecin lui ôta tout espoir de procréer à nouveau, d'avoir une descendance, de laisser une trace sur cette terre. Voilà son plus grand malheur : elle s'est dépossédée de tout espoir d'être utile à plus nécessiteux qu'elle, de se nourrir du bonheur d'un enfant, de l'aider à sortir du troupeau. Saisis-tu, ma fille, l'illusion dans laquelle elle te maintient, l'apparence qu'elle s'octroie pour cacher sa misère ?

— Mère, c'est triste... Cependant, je ne comprends pas pour quelle raison elle ne s'est pas tournée vers d'autres objets de son désir de bienveillance ? N'aurait-elle pu s'accomplir dans quelque œuvre de charité, quelque action de bienfaisance ?

— Son époux, la voyant si défaite, n'a eu de cesse que de vouloir combler cette carence affective par une débauche de richesses matérielles : cela a été son plus grand tort. Elle a été ensevelie, étouffée par l'opulence : le ressort en elle s'est brisé, volatilisé. Elle est devenue une coquille brillante, étincelante, un personnage, simplement bon à donner le change.

Le silence enveloppe les deux femmes : on y entend leur compassion pour leur semblable en fin de vie, seulement bonne à refléter un mirage.

— Mère, reprend Artémis, c'est aussi commode pour elle, que de se complaire dans la mélancolie : ainsi, elle peut se plaindre et se faire plaindre. Mais cela ne prend pas, avec moi ! Elle n'a eu qu'à souffrir d'un petit malheur, compensé par de muliples petits bonheurs !

— Ma fille, il n'y a pas de petits bobos : la raison voudrait nous faire accroire qu'une grande infortune cause une grande affliction. Ce n'est pas le cas : du moment où le sort s'acharne, de la manière dont nous recevons ses coups dépend la détresse que nous en éprouverons. Ton père, tes frères, ta sœur s'en sont allés : nous avons vécu à leurs côtés, nous pouvons les faire revivre à notre guise, dans nos rêves et nos pensées, entendre leurs rires, nous repaître de leurs sourires, nous laisser émerveiller par leurs regards, même s'ils nous manquent désespérément. Nous avons toute matière à les ré-inventer indéfiniment. Elle, ne peut : ses enfants resterons des inconnus pour l'éternité. Comprends-tu ? Toute peine est respectable, quelle que soit l'intensité de sa cause : tu ne peux ainsi tourner le dos à Hécate, ma fille. Écoute-la, entends-la. Va, maintenant.

Au bout, du village, dans le château, on entend des rires d'enfants. Si l'on pénètre dans le jardin, on aperçoit, confortablement installée sur la terrasse, aux côtés d'une claire et fine Artémis lumineuse, une vieille dame aux joues roses et lisses, au yeux pétillants, aux lèvres étirées par un léger sourire, au corps repu de bonheur : une Hécate nouvelle.

Note

[1] dont je t'ai déjà parlé ici

25/12/2012 10:29

De circonstance ?

J'ai retrouvé, en fouillant dans les cartons de mon grenier, le livre de vie de mon ancêtre Joël Noyeux, transmis de parents en enfants jusqu'à moi. Un 25 décembre, il a relaté l'histoire qui suit :

En ces temps sombres, les troubles de notre pays sont engourdis par le gel et la neige : nous sommes refugiés au plus chaud de nos maisons de granite gris dans nos villages isolés par la tempête. Les hommes mûrs ne sont pas revenus des frontières lointaines ; nos foyers survivent chichement alimentés par les enfants, les femmes, les vieux sages et les imagos.

Je viens d'être désigné jeune sage ; je ne le mérite certes pas : seuls les temps obscurs justifient cette distnction, d'après moi. Et ce jour, un jeune garçon, d'une dizaine d'années, m'a demandé :

- Dis, à Noël ou à l'anniversaire, pourquoi offre-t-on des cadeaux aux enfants ?

Bon sang ! Pour mon baptême de sage, je suis servi ! Non seulement, mon premier hôte est un enfant, non seulement il parle de ce que nous allons avoir du mal à réaliser vu notre misère matérielle, mais en plus il veut discuter d'emblée de mystère.

Je plonge mes yeux dans son profond regard gris, avide, candide, ouvert à toutes les réponses du monde, en quête de connaissances joyeuses et rassurantes. Je n'ai pas le droit de me tromper, de le tromper. Il faut que je m'élève à son niveau, dépouillé, simple, sans fioriture ni faux-semblant. Il n'a cure des embellisements que les adultes prétendent utiliser pour expliquer le monde qui les entoure. Il rejette sans vergogne les théories des initiés. Il me regarde, simplement, avec sérénité.

Et dans ses yeux
Je lis
La réponse
Qu'il porte en lui
Sans le savoir.

Je comprends alors ce qu'est vraiment être sage : je ne vais faire que lui dire à haute voix ce qu'il sait déjà, je vais simplement conduire hors de lui, pour que sa conscience s'en empare, la connaissance qu'il a en lui.

- Nous offrons des cadeaux aux enfants pour les remercier.
- Pour les remercier ? Mais de quoi ?

Allez mon grand, allez. Continue, pose tes questions, à moi, à toi. Vas-y, cherche la réponse, elle est rangée quelque part dans ta mémoire, trouve-la !

Le gris de ses yeux prend soudain des reflets mordorés, il m'offre un large sourire et me dit : " On les remercie d'exister, d'avoir la chance de pouvoir les connaître. Mais dis, pour les adultes, c'est pareil, non ? Même le plus méchant, comme la vieille Némie au bout du village, peut nous apprendre quelque chose, c'est ça ? Et ils nous apprennent des choses du monde lointain ou tout proche, comme nous-même. C'est ça, hein dis, c'est ça ? Alors, plutôt que leur dire un "Merci" que le vent emportera peut-être loin de leurs oreilles, on leur donne un objet qu'ils feront sien et dans lequel on aura mis un peu de nous, comme ce sifflet que j'ai fait et donné à Claudine pour qu'elle puisse appeler ses bêtes sans se fatiguer. C'est ça, hein dis, c'est ça ? Et puis si Pierrot casse le petit moulin que je lui ai fabriqué, c'est pas grave : il aura pu jouer avec au moins un peu. C'est ça, dis, c'est ça ? Mais, et ceux qui ne reçoivent jamais de cadeaux ? Dis, c'est pas parce qu'ils sont méchants, c'est seulement parce que personne n'a la chance de les connaître, alors il faut aller à leur recherche ? C'est ça, hein dis, c'est ça ? " Et toujours ce regard assoiffé qui est planté dans mes yeux. Et tout d'un coup, cette estocade : " Dis, qu'est-ce qu'il faut faire pour devenir un sage comme toi ? "

Je le regarde alors avec un grand sourire plein de larmes, je plonge ma main dans ma poche et j'en sors les fragments de silex et de quartz roulés par la rivière dans le lit de laquelle je les ai récoltés ce matin, ma main tendue les lui offre. " Merci. "