Les fonctionnaires vous mentent, les fonctionnaires vous spolient. Ils gaspillent votre argent à apprendre à lire et à écrire (mal) à vos enfants, à défendre (mal) vos droits de victime, à s'occuper (mal) des cas sociaux. Cette après-midi, j'ai même entendu dire, à propos de services sociaux qui ne semblaient pas pouvoir résoudre un problème : « Les services sociaux et médicaux sont au courant, mais comment suivre quelqu'un qui refuse de fait de se faire suivre ? C'est leur travail d'y arriver, c'est pour ça qu'on paie des impôts. C'est aussi pour ça que des fois on se demande à quoi ça sert de les payer parce que souvent on a l'impression qu'ils font rien alors qu'ils font tout ce qu'ils peuvent. » Mais tout cela est en train de changer.

Jusqu'à présent, les ressources financières de l'état étaient attribuées, ministère par ministère. Chaque ministère distribuait ensuite la manne financière à ses directions générales, ses directions régionales et enfin à ses agents. Sans contre-partie, sans vérification de l'usage de l'argent public, sans contrôle. Les serviteurs de l'état — serviteurs auprès de la population au nom de la république — dépensaient, comme ils le pouvaient, les sommes allouées à leurs missions implicites.

Le 1er août 2001 a sonné le glas de cet état de fait devenu apparemment totalement inopérant. Ce jour là, la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) a été promulguée par MM. Chirac et Jospin, respectivement Président de la République et Premier Ministre. Elle est censée remettre les pendules à l'heure quant à gestion de l'argent public.

En bref, des missions sont définies par le gouvernement — par exemple, Mission Écologie et développement durable. Pour mener à bien ces missions, plusieurs programmes sont à suivre — par exemple, Prévention des risques et lutte contre les pollutions. Plusieurs actions sont définies pour réaliser les objectifs assignés à ces programmes — par exemple, Limiter les risques et les pollutions d'origine industrielle et agricole. Enfin, pour savoir si les objectifs ont été atteints, plusieurs indicateurs sont utilisés — par exemple, Nombre de sanctions administratives sur nombre de mises en demeure prononcées. Finalement, rien de bien neuf par rapport à la gestion d'une entreprise privée : ce qui est nouveau, c'est l’application de ce type de management par la performance au service public.

Si l'indicateur montre que l'objectif est atteint, des primes — individuelles ou collectives — à la performance seront distribuées. C'est bien : la carotte du fonctionnaire n'est plus la satisfaction du public qu'il sert, mais l'argent. Si l'objectif est atteint, on ne sait si le budget alloué à la mission l'année suivante sera augmenté ou diminué. Si l'indicateur montre que l'objectif n'est pas atteint, les primes ne seront pas distribuées, le budget ne sera probablement pas augmenté l'année suivant et l'agent de l'état sera sanctionné. Comment ? On ne sait pas. Mais on peut imaginer qu'il sera affecté à une autre mission (polyvalence et mobilité), mission pour laquelle il n'a certainement pas les compétences. À terme, on peut envisager une réforme totale du statut d'agent public qui le rendrait aussi éjectable qu'un salarié du secteur privé.

Nous nous retrouvons donc apparemment face a un oxymore : un système basé sur la performance et la productivité (la rentabilité ?) d'un côté mais encadré par un programme (un plan ?) d'un autre côté. Un genre de soviétisme capitaliste ou de capitalisme soviétique.

PS : dans aucune communication médiatique sur le Projet de Loi de Finances pour 2006, il n'a été fait mention de la LOLF ni du fait que sa mise en application à partir de 2006 empêche de comparer le budget de l'an prochain avec les budgets précédents...