Déclaration d'indépendance des universités

Préambule :

Il n'y a pas de contraintes supérieures en force à celles que l'esprit humain, qui les a toutes inventées, exerce sur lui-même sous la forme de la pensée. La pensée la plus puissante, c'est la plus exigeante. Vérité et création, beauté et justice, raison et déraison, arts et sciences, techniques et métiers, ne sont que quelques-uns des noms que les hommes ont donnés à cette exigence. Toutes les disciplines appelées à en assurer l'inquiétante existence en sont autant d'expressions. Tout pouvoir, politique, religieux ou économique, qui refuserait de se soumettre à cette exigence est voué à dépérir. Considérant que cette exigence et les conditions de son exercice n'ont pas à disparaître ni à s'effacer avec les pouvoirs qui s'en servent en prétendant les servir, nous, qui avons participé d'une façon ou d'une autre à l'exercice de ces droits et devoirs universels de la pensée, à ce travail qui s'il n'arrive pas toujours à se faire en commun ne saurait s'accomplir que sous les formes de gestes faits en public, avons entrepris d'énoncer les points d'intransigeance auxquels cette exigence nous contraint.

Article premier : L'indépendance de la pensée consiste à pouvoir expérimenter sous leurs déterminations propres les enchaînements de connaissance producteurs d'œuvres et de savoirs. Ainsi l'exercice de cette indépendance n'a de bornes que celles qui en assurent aux autres la possibilité d'en éprouver, attester, évaluer la validité. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par une communauté d'égaux autour de l'indépendance de la pensée.

Article II : Tout homme et toute femme possède en toutes circonstances un droit imprescriptible à vérifier l'égalité de son intelligence avec celle de tout autre.

Article III : Parmi les centres d'enseignement, de recherche et de création, seuls ceux dont les dispositions ont pour but supérieur de rendre effectifs ces principes s'appellent université.

Article IV : L'indépendance de la pensée est partagée entre tous ceux qu'elle engage dans une recherche, un enseignement ou des études. Elle doit être la même pour tous, quels que soient leur place dans l'université, leur provenance nationale ou sociale, leur appartenance confessionnelle et ethnique, leur âge et leur identité sexuelle.

Article V : L'université définit un espace qui interrompt la continuité avec les espaces où l'ordre est assuré par les forces publiques. La présence des forces de l'ordre n'y est légitime que lorsqu'elle concourt à l'exercice de la pensée libre.

Article VI : Quiconque s'engage et contribue à la recherche, l'enseignement ou l'étude doit pouvoir expérimenter une pensée critique sans faire l'objet d'aucune censure, répression, ou inquisition.

Article VII : La libre circulation des pensées et des savoirs repose sur un droit inconditionné d'accéder à tous les moyens et sources de la connaissance. Nulle censure ne saurait restreindre les sources mobilisées pour sa mise en œuvre.

Article VIII : La valeur d'une pensée ordonnée à la contrainte du vrai repose sur les seules exigences qu'elle doit aux protocoles de sa mise à l'épreuve : son évaluation dans l'université revient à ceux qui portent cette exigence dans la recherche, l'enseignement et l'étude. Elle est publique et contradictoire.

Article IX : La mission de l'université est une mission publique. Comme telle, elle doit être garantie.

Article X : La politique scientifique est commandée par la seule production des œuvres et des outils de la connaissance. Nulle contrainte de retour sur investissement ne peut déterminer le cours de cette activité ni la hauteur des financements qu'elle réclame. Il appartient à la puissance publique d'en garantir l'autonomie.

Article XI : Nulle personne désireuse de poursuivre des études ne doit être contrainte à y renoncer pour des raisons d'organisation financière de l'université. A fortiori elle ne peut être obligée d'hypothéquer tout ou partie de sa vie, ni d'accepter des atteintes à sa dignité.

Article XII : Toute société, tout Etat, qui contreviendrait à ces principes, est réputé ne pas avoir d'université.

Article XIII : Toute université désireuse d'appliquer ces principes possède un droit à se placer sous la protection élargie d'autres universités et d'organismes internationaux. Toute université signataire de cette déclaration s'engage à apporter son soutien à qui le lui demande, sur la base des principes énoncés.

Groupe XVII