Diotime Le dimanche, Dame Quota prend soin d'êtres bizarres — et néanmoins attachants, très — mi-ange mi-démon, chimères à cheval sur deux siècles.

Bon j'ai envie de vous raconter une histoire de Grecs du Ve siècle mais on est pas accoudés au zinc la. Bon bon bon. C'est une jolie histoire tirée du Banquet de Platon. C'est le plus beau texte de Platon. Bon. Dans ce passage c'est la vestale Diotime qui raconte. Elle raconte la naissance d’Éros, qui comme nous, est dans une situation entre-deux.

C'est la grosse teuf là haut pasque tu comprends APHRODITE EST NÉE. On boit beaucoup, on danse beaucoup. Bon, danser c'est apocryphe, les banquets à l'époque, on était couchés. Grosse teuf donc. Dans l'assistance, il y a Poros. C'est un dieu qui incarne l'opulence. Il a certainement payé des coups à tout le monde, il est complètement bourré — faut bien voir, les dieux grecs y sont aussi alcooliques que nous hein. Bon y'a pas Uber à l'Olympe. On n'a pas encore disrupté le marché des nuages volants. Du coup Poros, il marche pas droit, il veut sortir pour rentrer chez lui (à pied), sauf que ouuuh ça tourne. Oé je peux rentrer demain, après tout. Allez, une petite sieste sous cet arbre. Notez le sans-gène de Poros qui est donc parti pour cuver son nectar dans les jardins de Zeus OKLM[1].

Sauf que dans les jardins de Zeus y'avait Pénia qui mendiait là. Pénia c'est la déesse de la pauvreté. Elle n'était pas invitée à la soirée, t'imagines, elle a pas la toge qui va bien. Et là elle tombe sur Poros endormi (l'histoire ne dit pas s'il a vomi dans son sommeil). Et là, magie des histoires des grecs de l'époque. Pénia : Hey mais si je lui faisais un enfant dans son sommeil ?! J'imagine qu'elle comptait sur une sorte de pension parentale vu que Poros était très riche. Donc elle fait sa petite affaire en douce et repart mendier[2]. Quelques temps après, Éros nait \o/[3]

Bon, il est très beau. Comme il a été conçu à la naissance d'Aphrodite, on lui trouve un poste de suivant d'Aphrodite. SAUF QUE VOILÀ. Éros, je rappelle, est le fils de Poros et Pénia. Du coup st'un peu un rebelle, il dort à la belle étoile, il est jamais solvable. Mais grâce à Papa, de temps en temps, il a des sous pour payer des coups aux copains — l'alcoolisme à l'Olympe, CE FLÉAU. Il est très beau et suivant d'Aphrodite, il aime ce qui est beau, ce qui est bon. Mais il ne peut jamais l'atteindre. Il veut se payer la dernière toge à la mode super sexy mais pas solvable quoi[4].

De la même manière, contrairement aux autres dieux, il n'est pas omniscient. Il est toujours à la recherche de plus de savoir. Point technique Platon : chez Platon, l'idée du bon et du beau se rejoignent. De même pour la santé. Il n'est pas immortel, mais pas mortel non plus. Toujours entre deux. J'aurais envie de me la péter, je dirais qu'il est un peu atypique. Ce qui est intéressant et assez joli chez Platon c'est qu'il va en faire le premier philosophe. Parce que haha, philosopher, ce n'est pas avoir le savoir, c'est le poursuivre, inlassablement.

EXACTEMENT COMME QUAND ON EST AMOUREUX.

Le philosophe est comme Éros, il est amoureux du beau et du bon, il tend vers le savoir \o/ Hé oui s'il savait tout déjà, il ne serait pas mû. Il ne serait pas désirant, mobilisé. Il ne déploierait aucun effort. Le désir est saisi, par cette histoire, assez justement, dans son instabilité intrinsèque : c'est toujours inassouvi. J'aime beaucoup, parce que, sans être hédoniste, c'est une pensée qui fait du philosophe quelqu'un qui désire. Et donc le désir n'est là pas que turpitude comme on verra après. C'est aussi ce qui pousse la pensée vers le bon <3

Les stoïciens seront plus tranchés là-dessus : le désir pour eux ça soûle grave, ÇA DÉCONCENTRE. Alors que Platon a l'idée que la conversation plaisante avec un beau garçon élevait l'âme vers le beau. (Ah chez Platon c'est équivalent, Vrai/Beau/Bon, c'est la même grande idée cardinale.) Parce que du désir charnel, on remonte au désir plus élevé du savoir et hop on s'envole vers LES IDÉES. Grâce à la maïeutique, l'art du dialogue où par questions et réponses successives, on s'élève ensemble vers le savoir.

Voilà voilà. Si vous vous demandez pourquoi je fais de la philo ♥ Le Banquet dans son entier développe une très belle théorie du désir, entrecoupée d'histoires comme celle-ci. Et de moments de drague. PARCE QU'ILS SE DRAGUENT DANS LE TEXTE. C'est vraiment mon Platon préféré.

Un dimanche normal, c'est un dimanche où on fait cours de philo antique sur le touiteur ♥ (donc pour boucler la boucle, voilà l'homme désirant, et c'est bien normal étant donnée la nature du désir <3)

Bon, j'ai pas respecté la lettre du texte, il faut être éméché au comptoir pour raconter ça :D

Vous pouvez reprendre une activité normale (NdlR).

Notes

[1] un invité s'insurge : je serais allé cafter direct qu'il se prenne un éclair bien visé au moment de faire pipi sur l'arbre #TeamZeus. Dame Quota : Zeus devait aussi être bourré (et occupé à courser 12 nanas à la fois) :p

[2] un banquetier admire : la classe absolue quoi. Dame Quota : Ah on est pauvre, mais on est une déesse monsieur quand même, on est douée :p

[3] Un jaloux : romantisme absolu, section déprime. Dame Quota : Les grecs dans leur splendeur : te faire naitre le dieu du désir d'une union creepy. OUI MONSIEUR.

[4] Ou la dernière Pléïade — Ah merde, si je me paye ce beau livre, je mange plus... — FUCK IT, PRENDS MES SOUS, LIBRAIRE !