Qui est violent ?
Je viens de rencontrer, fortuitement, la fille d'amis qui est en deuxième année de prépa. HEC. Après les banalités d'usage, je lui demande comment se passent ses années post-bac ; ce qu'elle me raconte me fait froid dans le dos :
- la première année, elle a tout donné à ses études, bossé 20h/24, abandonné tout activité sociale, culturelle et sportive (équitation de haut niveau et piano en virtuose) ;
- pendant cette première année, qu'elle a réussie avec brio, elle a eu un prof. de math. absolument génial, qui était imprégné de sa discipline comme moi je le suis de sueur après avoir jardiné. Elle avait aussi des listes de mots étrangers à apprendre par cœur[1], 4 ou 5 devoirs à rendre par semaine, des DS 3 ou 4 après-midi par semaine, des khôles, etc. : rien que du très courant ;
- en deuxième année, elle bosse tout autant : le prof. de français fait des interro. surprises pour lesquelles elle obtient des notes catastrophiques parce qu'elle n'a pas la bonne méthode[2] et une fois qu'elle l'a trouvée[3], elle obtient la meilleure note de la classe[4];
- en math., les exercices à rendre pour la veille pleuvent, donc ils ne sont jamais faits pour le cours suivant, donc la prof. traite les élèves comme des moins que rien, des nuls, des qui n'arriveront jamais à rien s'ils n'y mettent pas un peu du leur ; elle m'explique que la dite prof. a beaucoup bossé pour en arriver où elle est[5] (à la différence du prof. de l'année précédente, si tu as bien suivi...) et que donc, c'est normal qu'elle les traite comme elle le fait.
Je ne peux m'empêcher de m'écrier que je ne supporte pas ce management par la contrainte et la peur. Et c'est alors que l'illumination se fait : depuis longtemps, on dit que la société est violente ; certes les raisons en sont multiples., mais nos élites dirigeantes sont bien issues des grandes écoles et des classes prépa. préalables, non ? Donc, ils ne font que répéter les schémas auxquels ils ont été soumis... Dur de réaliser ça de façon si abrupte. Surtout que dans mon entourage, gravitent des ingé. et autres haut-fonctionnaires qui ne sont pas déshumanisés du tout : bizarrement, ils se sont expatriés, pour la plupart...
La conversation dérive alors vers une affaire d'expulsion du territoire où un préfet, personnifiant l'autorité détentrice de la loi, use de violence envers un contrevenant à la dite loi. Je m'interroge alors à haute voix : « Pourquoi donc des personnes en position dominante (prof., autorité administrative) se sentent obligées de faire usage de violence envers ceux qui sont dominés (élèves, justiciable) » Plus généralement, pourquoi la violence se manifeste-t-elle très souvent de la part d'un dominant envers un dominé ? Alors que la personne qui domine, qui détient l'autorité, n'a pas besoin de faire montre de violence pour être obéie (la plupart du temps). Alors pourquoi (et pour quoi) se sent-elle obligée d'être violente pour s'affirmer ?
La violence de la société n'est plus du fait des soumis révoltés mais de leurs dirigeants. Trouillards de perdre leur pouvoir[6] ?
Veule est la créature qui mesure sa force à la faiblesse d'autrui.
Notes
[1] à quoi ça sert ???
[2] Il sert à quoi, le prof. alors ?
[3] toute seule, donc
[4] 12/20 ; no comment...
[5] un jour, je te raconterai ce que je pense de l'expression « C'est une bosseuse : elle a beaucoup travaillé pour réussir » (on dit rarement ça d'un mec, auras-tu noté)
[6] un jour, j'essaierai de comprendre pourquoi les hommes sont violents envers les femmes
Commentaires
"Donc, ils ne font que répéter les schémas auxquels ils ont été soumis"
L'humanité, étrange tribu ou l'on coud l'enfant dans la peau du grand père. (désolé je ne me souviens pas l'auteur et c'est approximatif comme citation.
Merci pour ce témoignage, j'en ajoute un autre.
Malgré mes conseils, ma fille a voulu faire ses classes prépa après son bac. Elle a choisi la meilleure de Lyon (la pire selon moi). Le lycée du Parc. Elle a donc subi les cours des enseignants de cet établissement (pas enseignants selon moi, sélectionneurs tout au plus). Au bout de trois mois elle était convaincue d'être nulle et bonne à rien. En décembre, elle a pris la décision de suivre une autre voie et cessé de pleurer devant ses cours. Elle est donc partie à l'université, puis a été reçue à un concours d'entrée dans une école d'ingénieur. Elle est aujourd'hui ingénieure agronome (ce qu'elle voulait être)... et aussi heureuse et épanouie. Elle a beaucoup aimé ses années d'étude et les enseignants qui l'ont aidée à s'émanciper.
Je suis prof dans une ENS. J'enseigne à des fils et des filles d'universitaires qui enseigneront à des fils et des filles d'universitaires.
Des remarques et des tentatives de réponses.
Tout d abord j ai fait un école d inge après prepa, Je me suis donc mange super et spe, la première dans une prepa plutôt anonyme, la seconde dans une plus grande et reconnu mais pas prestigieuse.
J ai eu de la chance (ou pas sur le moment ça m a paru normal) ça c est bien passé et avec les élèves et avec les profs. Esprit de coopération et pas de compétition chez les premiers, pas de grands malades pervers chez les seconds.
Forcément, quand tu te tapes plus de 20h / semaine avec le même prof il y a des moment ou. Sa passe plus ou moins bien, ou mal. Il y a de petites humiliations, mais je n ai pas vécu l humiliation comme méthode pédagogique. Juste quelques piques isolées pour faire réagir. Et c est déjà beaucoup dans le contexte.
Car quel contexte. Sans violence d aucune part la prepa est déjà d une rare violence. Volume de travail et de connaissance a assimiler prodigieux, stress omniprésent, manque de temps généralisé, aucun repos psychologique ou presque, ou alors des micros coupures.
Ça c est la prepa qui se passe bien. Que est ce que cela peut donner dans un environnement en plus hostile ? Je ne veux même pas l'imaginer.
Est ce que la prepa est cause de normalité de la violence par la suite ? Je ne le crois pas. Enfin pas trop. Comme je l ai dis j ai connu deux prepas, les deux se sont bien passées. La violence oppressive en prepas ne me semble pas généralisée. Comme en plus suivent trois années de "contrecoup" qui font disparaître en grande partie ce que tu as pu subir... Dubitatif je suis sur ce plan la.
Par contre je crois que le contexte culturel professionnel peut lui instituer une violence normalisée. Tu parles de la préfectorale, elle a une vision particulière de l état et de ce qu il signifie ( désole je devrait écrire état avec un E mais je ne peux juste pas). Cette vision crée une légitimation de la violence imho. Tu pourrais prendre l exemple de la formation médicale, en particuliers dans le monde de la chir, avec des interne traitées comme des ss merdes et des esclaves... Je ne connais ce monde que par oui dire par contre.
Mais je crois qu il faut chercher la cause dans l institutionnalisation de la normalité du mauvais traitement, de la brimade. Et je crois que la seule réponse qu on puisse apporter, c est chacun, dans notre vie, promouvoir le respect de l autre comme préalable a toute relation....
Les classes prépa sont un univers très particulier, qui n'existe que dans le système éducatif français. On ne peut donc pas expliquer la "violence" de la société française (et encore moins occidentale) par ce cursus qui concerne une petite minorité d'étudiants, même si nombre d'entre eux seront ensuite "l'élite" de la nation.
Et ce n'est pas un scoop que les prépas sont assez extrêmes ou "violentes" dans la discipline, la concentration et le charge de travail qui sont exigées.
@stephane Ça me rappelle quand même furieusement ce qui se passe avec les enfants maltraités devenus adultes : ou ils reproduisent la seule chose qu'ils ont connue ou ils en prennent l'exact contre-pied.
@Dwarfpower
Tu as raison, bien sûr : c'est le système qui est violent dès le départ. Je me souviens de ma copine d'enfance que je récupérais régulièrement complètement effondrée à la sortie de ses cours de prépa. C'était il y a plus de 30 ans : on aurait pu espérer que la situation évolue vers un mieux en une génération...
Moi, comme une idiote, j'ai choisi la voie universitaire qui conditionne le passage en 2e année à un classement en rang utile à un concours qui a 20% de réussite. Et ce que tu décris du milieu hospitalier, j'ai connu aussi : les brimades en plein staff après un week-end de garde, par exemple. Et cette violence se retrouve également chez certains médecins (personne faisant autorité...) envers leurs patients.
Ta conclusion est très juste et on peut du coup détourner le fameux "Ce qui ne me tue pas me rend plus fort" (adaptation libre) : oui, à condition d'être assez fort pour ne pas se laisser aller à la facilité et pour transformer cette violence subie en quelque chose de vraiment humain. En gros.
Pour moi la violence a ses bases bien plus anciennement dans l'histoire de chaque personne qui la perpètre : l'enfance.
L'enfant qu'on tape, punit, humilie, dans une violence éducative totalement ordinaire apprend et intègre ce schéma. Il comprend qu'un "grand"/un dominant à le droit de gueuler sur plus petit que lui, c'est normal d'être violent envers le "dominé". Ensuite, évidemment ce schéma est juste renforcé par la rudesse et la violence de certaines écoles...mais, avec une telle éducation et donc une prédisposition, ça n'est qu'enfoncer le clou.