Résistants, Bragelonne, 2017

Comme One Minute, Résistants est né sur Wattpad. Comme lui, il est écrit au présent. Comme lui, il déroule la narration suivant le point de vue des différents protagonistes. On pourrait à l'envi se prêter au jeu des ressemblances et on en trouverait nombre d'autres[1]. J'ai donc assisté à la naissance de l'histoire, naissance laborieuse, avec quelques faux départs, alors même que le thème et le genre littéraire sont clairs dans l'esprit de l'auteur[2]

L'histoire ? Une femme se bat contre une menace pire que le changement climatique de notre planète : la résistance aux antibiotiques. J'avoue, qu'un auteur masculin mette en scène une telle héroïne me séduit particulièrement[3] Elle endosse le costume classique mais toujours efficace de tout brave, avec ses forces, son intelligence, son intuition, ses faiblesses[4], son altruisme, etc. Et ça fonctionne remarquablement bien en ce qui concerne Katelyn. Ah et puis elle tombe amoureuse, hein, comme tout chevalier. Mais loin d'être une romance sirupeuse, sa relation avec le héros[5] est piquante et ombrageuse, mélange classique d'amour-haine où le cœur et la raison luttent jusqu'à offrir une fin presque malheureuse[6]. Oh, et puis comme c'est une femme, elle est objectivée, abusée[7]. Schéma courant. Mais comme elle ne se laisse pas faire[8]...

Contre elle, donc, l'amoureux, le héros, le méchant — pense-t-on et on n'a pas tout à fait tort. Tout aussi doué qu'elle, menant — sans qu'elle le sache vraiment au début de leur histoire — le même combat. Et contre eux, les infâmes capitalistes, les industriels en général et les firmes pharmaceutiques en particulier qui gavent humains et animaux de médicaments censés éradiquer les bactéries. Elles sont sur Terre depuis bien plus longtemps que nous, sont beaucoup mieux équipées que nous pour s'adapter : elles ne cessent de mettre en place des contre-mesures au flux d'antibiotiques auquel on les soumet. Sauf qu'à la fin, ce sont elles qui vont gagner, et pas nous. Et je dois dire que bien que je sache parfaitement ce qu'est la résistance aux antibio. et ce qu'elle signifie, Thierry Crouzet a presque réussi à me faire peur. Cette peur, née de l'ignorance ; cette peur qui sidère. Alors l'auteur distille, en parallèle de son propos romanesque, faits et découvertes sur les bactéries, leurs mécanismes de résistance, les moyens pour nous, humains, d'espérer, un peu, nous en sortir. Malgré la menace glaçante qui court tout au long de l'histoire, la noirceur du propos, tout n'est pas perdu : nous sommes seulement la solution au problème que nous avons créé. À condition d'un changement radical de nos comportements[9].

La solution aux problèmes majeurs de l’humanité ne viendra que d’une mise en commun de toutes les expériences.

La forme romanesque de cet ouvrage de commande, délibérément choisie par l'auteur[10], épouse volontairement le genre thriller, peu familier à l'écrivain de ce que je connais de ses styles littéraires de prédilection. Ça se sent un peu. Si l'enchaînement des péripéties est assez fluide, l'ensemble aurait mérité, à mon goût, encore quelques phases de polissage pour livrer un produit bien fini. Par exemple, l'identification des « patients zéros » et de leur mode de contamination me semble incohérent, presque cousu de fil blanc, un peu trop facile, en quelque sorte.
Quoi qu'il en soit, je n'ai pas été déçue par ce page-turner captivant. Même si l'on n'aime pas particulièrement les histoires d'action et de suspense, les ombrageuses aventures amoureuses, on retrouvera les perles d'introspection typiques de Thierry Crouzet[11], humanistes ou à la limite du truisme, parfois :

La pensée rationnelle n’est pas la seule opérationnelle. Quand le maître affirme que les arbres lui parlent, il ne ment pas. En haut de la plate-forme, j’ai communié avec eux. Au nom de ce que je sais, je peux passer à côté de ce que je pourrais savoir si j’étais curieuse. La raison peut parfois se transformer en obscurantisme.

Résistants met en lumière un aspect microscopique de l'influence de l'humain sur son environnement. Et inversement. Un indispensable docu-fiction pour qui se soucie un tant soit peu de son prochain.

Notre précipitation engendre la peste moderne.

Notes

[1] Un jour on fera une liste de tout ce qui fait que quand on lit du Crouzet, même à l'aveugle — hahaha — on sait que c'est du Crouzet

[2] Enfin, d'après ce qu'il en dit

[3] Mon héroïne de gamine était Fantômette. Donc, bon

[4] Un héros doit avoir des faiblesses, sinon, ce n'est qu'un robot

[5] bah oui, faut bien qu'il y ait un mec dans l'histoire...

[6] Tout est dans presque

[7] Non, pas dans ce sens-là

[8] Elle me fait penser à Clarice Starling

[9] J'avoue, là, c'est pas gagné

[10] A contrario du Geste qui Sauve

[11] Qui ne peut donc s'empêcher d'en glisser dans ses textes, quels qu'ils soient