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Deuzeffe pose (toujours) des questions

05/10/2014 22:18

Je suis ton père (Alexandre Jarry)

Je suis ton père, épisode 1

Plusieurs fois, dans ma TL, sont passés des avis plutôt favorables à Je suis ton père. Un premier épisode gratuit, et en avant pour la découverte, sans trop de risques. Et puis, une iréférence clairement affichée dans le titre de la série et des épisodes à SW, ça ne devait pas être trop mal. Le style d'écriture est rigolo, avec quelques tournures de phrases nécessitant un ou deux relecture : ce n'est pas gênant. Une déconvenue : l'épisode est bien trop court. C'est donc l'histoire d'un mec donc la femme est enceinte et qui se prend pour un futur papa, paraît-il. Et c'est de l'humour, paraît-il encore. Je n'ai pas accroché. Du tout. Je n'achèterai pas la suite.

J'ai retiré de ma lecture le même sentiment que celui que j'ai lorsque des mecs disent qu'ils seraient bien enceints pour nous décharger, nous les femmes, de ce fardeau qu'est la grossesse. C'est particulièrement machiste, comme attitude, sous couvert de féminisme au mieux, d'égalitarisme, au pire. Enlever aux femmes la seule chose qui fait leur fémellité.

« Hey, mais détends-toi, c'est de l'humour, de l'humour » Grumpfbl.

Waldgänger (Jeff Balek)

waldganger.jpg J'ai un appart. à Yumington, sur les quais, depuis bientôt deux ans. Et il est difficile d'avouer que je n'ai jamais pris de temps d'y mettre les pieds. L'époque « Urban » a filé sans moi, et c'est sans m'en rendre compte que l'époque « dark urban » a pointé le bout de son nez et de ses flingues. Si tu as suivi le lien précédent[1], tu as compris que j'ai plongé dans l'univers de Wadlgänger[2]. Véritable plongée, en quasi apnée tant j'ai été happée, transportée par l"histoire ce héros, vraiment pas comme les autres, loin s'en faut. Impossible de quitter plus de quelques heures ces quelque six cents pages (me dit ma liseuse) tant la narration est efficace, « tourneuse de pages », tant le récit est haletant, extrêmement riche, prenant.

Un personnage principal, ancien militaire de son état, gravement blessé au combat, empli de haine, de violence, d'esprit guerrier — « C'est un être archaïque, reptilien, qui surgit en moi. Un âme mauvaise et assoiffée de mort. ». Une ville américanoïde, avec ses quartiers bourges, ses quartiers chics, et ses bas-fonds — Yumington, donc — populaires, populeux, vivant de trafics, d'embrouilles, de business, Yumington, verrue purulente que le gouverneur de la ville aimerait bien voir disparaître pour de bon (et pour installer des quartiers bobo au passage). Jusque-là, c'est bien, mais sans plus, pas de quoi se précipiter chez son libraire préféré pour acquérir l'ouvrage[3]. Sauf que. Le militaire a guéri miraculeusement après avoir été en contact avec un objet bizarre, il lui semble qu'il a des pouvoirs — inhumains — mais lesquels ? Il faudra attendre la toute fin de l'histoire pour en saisir toute l'étendue.

Au début du récit, on a de la compassion pour W. — Blake, pour le commun des mortels : il est mal en point, se remet difficilement de ses blessures, revient innocemment mais difficilement à la vie civile qui lui fait d'horribles « cadeaux », devient un « loup solitaire » (ou presque). Puis il commence à devenir antipathique, avec cet air de Monsieur je sais tout, je prévois tout, je suis inaltérable[4] attitude de qui doit faire face à quelque chose qui le dépasse complétement. C'est alors qu'il accepte son nouvel état, éclairé par son mentor. On aimerait bien qu'il devienne chevalier blanc , il n'est que le rouge, qui porte la guerre, la provoque — parfois bien malgré lui — l'organise même, pour le plus grand soulagement des habitants de Yumington. Dans une trame de thriller classique — corruption des édiles, quartier pouilleux à assainir, lutte du entre le bien et le mal — des ingrédients ésotériques viennent relever à un haut niveau l'histoire de ce mec paumé. Il serait bien présomptueux d'affirmer avoir tout saisi de ce récit richissime, porté par un style percutant et efficace, où se mêlent philosophie et vie quotidienne, histoire de l'humanité et banalité urbaine, pensées hautement intellectuelles et brutes épaisses.

Quelques passages que j'ai relevés :

  • « Halluciner son existence est la seule voie pour celui qui ne veut pas se tirer une balle. »
  • « Nous nous heurtons tous aux parois invisibles de nos illusions. »
  • « Peut-être faut-il mourir pour éprouver une telle sensation de liberté. Mourir socialement et disparaître. Devenir invisible aux yeux des vivants. Ne plus dépendre de qui ou de quoi que ce soit. Arracher les chaînes qui nous lient inéluctablement les uns aux autres. N'être plus rien. Se calciner. »

Ce héros, qui ne veut pas prendre partie, dit-il, pour l'un ou l'autre camp, qui désire garder son libre arbitre, qui sent qu'il est le jouet de forces qui le dépassent et qu'il essaie néanmoins de s'approprier, ce héros donc, finira par prendre un parti, malgré lui, celui de l'humain. Jusqu'à la fin, on y croît. Jusqu'à ce qu'il relance la roue de l'histoire, de la lutte incessante entre le bien et le mal : lutte indispensable pour l'équilibre du monde ?

Notes

[1] Et le titre du billet, ou alors tu es particulièrement distrait.

[2] Petite précision sémantique : le héros se surnomme Waldgänger, c'est même le titre du livre, dis-donc. Et pas *Le* Waldgänger. Et donc je parlerai *de* et non *du* W. Sauf exceptions, bien entendu.

[3] Sauf si on est très très accro. aux militaires défouraillant au moindre bruissement d'une aile de papillon ou aux cours des miracles urbaines

[4] c'est plutôt vrai, mais pas tout le temps.

27/09/2014 22:12

Jésus contre Hitler (Neil Jomunsi)

j-vs-h.png Alors que le Projet Bradbury débutait sa vie, Walrus faisait paraître le dernier épisode (et l'intégrale) de Jésus contre Hitler. Profitant des largesse de l'éditeur, je me suis offert, pour le Noël suivant, l'épisode 1 et je m'apprêtais à acheter l'intégrale lorsque survint le Ray's Day et l'occasion de bénéficier ce jour là de la générosité de la maison d'édition. Bref, JvsH ne m'a rien coûté, ce qui va m'obliger d'user de moyens honteux — et donc inavouables — pour que l'auteur puisse déguster des bretzels au petit-déjeuner.

Ceci étant posé, quel est donc cet OÉNI[1] ? D'abord, vous prenez Chapeau melon et bottes de cuir, Les mystères de l'ouest et X-files et vous secouez. Très énergiquement. Encore plus que ça. Vous laissez à peine reposer et ajoutez, en larges rasades, une grande diversité de mythes et légendes, millénaires, exotiques ou littéraires. N'ayez pas peur de touiller ensemble zombies, magies noires, Cthuluh, Yéti, forces occultes (n'hésitez pas à forcer sur la dose), super-héros, militaires, agence ultrasecrète, amour (si si), Dante, des Ninja (enfin, surtout une), et surtout énormément de relations humaines, d'amitié et, n'osons pas peur du paradoxe, d'humanité. Vous aurez alors une vague idée de ce que vous vous apprêtez à dévorer. Parce que, bien sûr, vous ne pourrez vous empêcher de passer à la page suivante, de vous plonger dans l'épisode d'après et, à la fin du dernier, de vous écrier Alors, la suite, c'est pour quand !?[2]

Mais encore ?

Une histoire de bons qui luttent contre le mal absolu. Le premier épisode est, somme toute, assez classique[3] : présentation des personnages, révélation ou plutôt confirmation qu'il s'agit bien du Jésus, petit même, à côté de son acolyte, militaire chevronné, quelquefois désobéissant néanmoins[4], mission menée à bien, avec juste la dose de suspense qu'il faut pour ne pas s'ennuyer. Donc bien, mais pas plus. Dans le second épisode, l'auteur s'offre le plaisir de se vautrer dans l'univers d'un de ses écrivains préférés, H. P. Lovecraft. Avec des vrais monstres, à côté desquels Hitler est un méchant d'opérette, de l'horreur horrible, des situations totalement inextricables dans lesquelles on craint maintes fois de perdre les héros : ils sont quatre, maintenant, dont une héroïne malgré elle, qui se fera bien discrète par la suite. Le récit est un peu moins linéaire que dans le premier épisode, univers lovecraftien oblige, et malgré tout l'humour est très présent : en particulier, le sort réservé à Cthulhu est particulièrement comique. En tout cas, il m'a fait bien rire et m'a rendu le monstrueux poulpe plutôt sympathique[5]. Le troisième épisode nous transporte au Tibet, dans l'antre d'une créature mythique, que l'on sait être parfois bienveillante si l'on a lu Tintin. Cependant, poussée à des actions désespérées par la *onnerie humaine, elle se ligue avec le grand méchant pour sauver son peuple. Dans ce troisième acte, apparaît également une bien curieuse protagoniste, au comportement étrange, dont l'attitude devrait éveiller bien des soupçons : dotée de capacités formidables, elle n'est qu'une enjôleuse traitresse. Et puis l'abominable homme des neiges, l'impensable survient : un des héros disparaît ! J'ai ressenti la même tristesse infinie que si j'avais été soumise à l'effet du visi-sonor manipulé par Le Mulet. Le dernier épisode voit les principaux protagonistes encore valides partir à la rescousse du disparu. C'est très simple : il suffit de se faire emporter en Enfer, rien que ça ! Et c'est tellement fantastique et fantaisiste (au sens de la SFFF), que c'est inracontable...

Entrainé dans un récit aux prémisses linéaires, on se laisse prendre par un déroulé de plus en plus emberlificoté : rien ne sert de résister — on passerait à côté de l'histoire — il suffit de se laisser porter par les méandres tortueux de l'imagination de Neil qu'il a réussi à dessiner en mots. Écrite avant le Projet Bradbury, la saga porte déjà en germe le style précis, pas encore ciselé mais déjà bien profilé, qui s'épanouira à travers les prochaines 52 nouvelles. J'aime toujours autant la façon dont sont traités les personnages féminins, l'imagination « young adult », l'humanité que l'on trouve dans les œuvres de Neil Jomunsi.

Notes

[1] Objet Écrit Non Identifié.

[2] Pour bientôt, si j'ai bien tout suivi ici

[3] Si tant est que l'intrigue le soit...

[4] Il n'est qu'un humain, après tout.

[5] Et Dieu Jésus sait que j'ai une horreur viscérale des monstres.

24/09/2014 19:41

Adultère (Paulo Coelho)

adultere.jpg C'est le deuxième ouvrage de Paulo Coelho que je lis, le premier ayant été, bien entendu, L'alchimiste. Le souvenir que j'en ai c'est de n'avoir rien compris au propos de l'auteur[1] et la sensation qu'il m'en reste, c'est d'avoir été déçue. Je ne dirais pas que pour Adultère, c'est pareil, mais la déception est tout autant là.

L'histoire est racontée essentiellement sous forme de dialogues ou de monologues : le style est donc léger, presque oral, à peine écrit et il est parfois difficile à suivre. Sauf lorsque l'auteur se lance dans de grandes tirades philosophiques et spirituelles : l'écriture semble alors bien plus travaillée.

Lorsque j'ai commencé à lire, je me suis sentie prise d'une frénésie de souligner un bon nombre de phrases, d'en faire des citations à placarder ici ou . Et à force de souligner[2], je me suis agacée : étais-je en train de relever des vérités universelles ou des lieux communs ?

  • « Tâchez de vous laisser porter par la nuit de temps en temps, de regarder les étoiles et de tenter de vous enivrer de la sensation d'infini. La nuit, avec tous ses sortilèges, est aussi un chemin vers l'illumination. De même qu'au fond du puits sombre il y a l'eau qui étanche la soif, la nuit, dont le mystère nous rapproche de Dieu, porte cachée dans ses ombres la flamme capable d'allumer nos âmes. »
  • « Voyez-vous un problème dans ma vie ? Aucun. Seulement la nuit qui me fait peur. Le jour qui ne m'apporte aucun enthousiasme. Les images heureuses du passé et les choses qui auraient pu être et n'ont pas été. Le désir d'aventure jamais réalisé. »

Certes, rien de transcendant. Des évidences donc, ou des paroles que j'ai souvent entendues de la part de proches à un moment où ils venaient me confier leur mal-être.

D'autres exemples ?

  • « Aujourd'hui au travail, j'ai fait preuve d'une irritation anormale, seulement parce qu'un stagiaire a mis du temps à trouver ce que j'avais demandé. Je ne suis pas comme cela, mais je me sépare de moi-même. »
  • « La nécessité de faire plaisir à tout le monde. »
  • « Nous ne montrons pas nos sentiments parce que les gens pourraient nous juger vulnérables et en profiter. »

Qui n'a pas entendu ça ? Ou ne l'a jamais dit ? Personne. Cela m'a profondément remuée.

Quant au déroulé du récit... J'avoue que j'ai été à plusieurs reprises à deux lignes de laisser tomber le bouquin[3] Le discours est poussif, s'emmêle dans des répétitions. J'ai persévéré, par curiosité probablement. Certes, il s'agit de retranscrire la phase d'introspection d'une femme — jeune, la trentaine — qui ne sait plus si elle est heureuse ou pas — objectivement, d'un point de vue extérieur, elle l'est[4] — qui tente de s'écarter du chemin tout tracé que semble dessiner sa vie pour, éventuellement, voir si l'herbe ne serait pas plus verte sur la voie de traverse. On y trouve quelques scènes porno., dont on se demande ce qu'elles font dans l'histoire sinon attirer le voyeur ou la voyeuse ; des discussions sur la jalousie, ou le sens de la vie de couple : que du très banal. Et puis une scène, où l'héroïne va enfin avoir l'illumination, recevoir la révélation : cet épisode, intense, n'est raccroché à toute l'histoire que par un simple prétexte ; il aurait pu trouver sa place dans un tout autre récit, que le fond n'en aurait pas été changé. À sa suite, à la fin de l'aventure, on retrouve la principale protagoniste heureuse de continuer à vivre sa vie « d'avant ».

Les œuvres de Paulo Coelho sont essentiellement des contes initiatiques, où la spiritualité tient une grande place. Oui, cette femme a progressé — par essais, erreurs ? — non, elle n'est plus la même qu'avant son aventure, elle a muri, grandi, évolué. Oui, oui. Mais j'ai été très déçue par la façon dont son histoire a été racontée.

Tout ça pour ça ?

Notes

[1] probablement parce que j'ai moins de deux neurones.

[2] numériquement, je te rassure !

[3] mais pas ma simili-liseuse !

[4] mais personne n'est dans la tête de personne, n'est-ce pas ?

21/09/2014 18:12

Merci pour ce moment (Valérie Trierweiler)

merci-pour-ce-moment.jpg

Oui, bon, je l'ai lu. Bien que je n'aie pas l'habitude de me jeter sur le dernier best-seller[1] venu. Peut-être parce que j'ai lu des articles qui ne parlaient pas que des bonnes feuilles. Bref, je l'ai lu. Oui, bref, parce que comme dit Neil Jomunsi, ça se lit vite.

Le style est celui de quelqu'un qui parle à bâtons rompus, qui vide son sac ; proche du langage oral, sans ses défauts. On passera sur les coquilles (huit d'après Bescherelle ta mère) et on ira lire l'explication de leur présence. Pour ma part, « électrocution » (en lieu et place d'électrisation) me reste quand même en travers de l'œil, surtout sous la plume d'une journaliste (même si elle est spécialisée dans la politique). Le style est donc tout à fait adapté au genre du livre — confession, confidence, témoignage — dont une romancière aguerrie aurait pu faire un très très bon roman.

Mais c'est un récit brut de fonderie, dans lequel deux courants s'entremêlent, que l'on a parfois des difficultés à suivre tant la chronologie est peu respectée. Le premier thème — premier, parce qu'il apparaît à l'évidence que c'est bien la motivation principale de l'autrice[2] — aborde l'aspect psychologique d'une femme amoureuse délaissée. Le portrait qu'elle fait d'elle est sans concession, à tel point qu'elle se rend particulièrement détestable à mes yeux : amoureuse de l'amour et non de l'être prétendument aimé, désirant passer avant toute chose qui le concerne lui, désirant qu'il soit à l'écoute de ses désirs de femme aimée et non l'inverse (ou la réciproque). Ce n'est pas ma définition de l'Amour et les traits qu'elle s'attribue dessinent tout ce que j'exècre chez la femme (ou l'homme) qui dit aimer. Elle se dit sincère, et je la crois quant à la douleur qu'elle a ressentie et son besoin de la jeter sur le papier. Quant à la véracité du portrait, que j'aimerais avoir des doutes...
L'autre pan de l'histoire est consacré au monde politique dans lequel l'autrice a évolué pendant dix-huit ans. Outre les piques et anecdotes parue dans la presse dans la rubrique « bonnes feuilles » — n'ayant de bonnes que le nom — ce qui y est narré est stupéfiant, non pas qu'on ne le savait pas, mais surtout qu'on n'y croyait pas, le fameux « Trop gros, passera pas. ». Et pourtant... Il semble que ce qu'elle a écrit soit vrai. En tant que citoyen, doué d'une vague conscience politique du bien commun, on n'a qu'une envie : que toute cette engeance, quelles que soient les idées dont elle se revendique, dégage vite et bien fait. Cependant, même si je la pense sincère dans les faits et les mots qu'elle restitue, je discerne un manque d'honnêteté intellectuelle, un défaut d'analyse, en particulier à propos des « petites phrases » sur les pauvres ou les handicapés : pourquoi, dans le récit, elle n'indique pas si elle a insisté pour savoir si elle avait bien compris ou non, ce qu'il est résulté de ses questions ; bref, pourquoi elle n'a pas fait son boulot de journaliste politique (qui, même mis sous le boisseau, semble être sa raison de vivre professionnelle) ?

En conclusion, c'est un récit qui me met mal à l'aise parce qu'il laisse quelques importantes questions en suspens :

  • comment une journaliste politique qui exerce son métier depuis dix-huit ans peut-elle être à ce point stupéfaite par le comportement de certains de ses collègues et d'une partie des médias ? Elle devrait pourtant bien connaître ce milieu, ne pas se bercer d'illusions (je suis du sérail, il me laisseront tranquille). Je reste ébahie devant un tel aveuglement[3] ?
  • comment la personne qui partage la vie d'un chef d'état peut-elle faire passer ses propres désirs égocentrés devant « l'intérêt général »[4] ?
  • et surtout pourquoi faire paraître cet ouvrage maintenant, en cette période particulièrement troublée pour le gouvernement et celui qui dirige le pays ? Pour déclencher un sursaut salvateur, ou une révolution ? Je n'ose imaginer que cela soit uniquement pour qu'il arrête de la harceler à coups de multiples SMS[5]...

In fine, ce récit, s'il est sincère, ne me paraît pas honnête bien qu'il ne décrive qu'une comédie humaine bien banale.

Notes

[1] Expression jamais autant appropriée.

[2] Oui, je tords le cou à la règle de féminisation de noms de métier.

[3] Oui, l'amour rend aveugle, je sais...

[4] Réflexion de bisounourse idéaliste : j'assume.

[5] Suffit de changer de numéro de téléphone, non ?

12/09/2014 22:33

Allez, je vais vous embrasser ?

D'habitude, je les repère de loin, avec leur regard brillant de prédateur, leur denture découverte ce qu'il faut par un sourire goinfre ; je les entends longtemps avant que de les voir, aussi, ils ont le verbe haut, pour qu'on les remarque, que les regards se dirigent vers eux, que le parterre les désire d'un mouvement implorant ; ils pourront y faire ainsi le choix de celle qui aura leur faveur. Trente ans de vie citadine, ça éduque.
Mais là, je n'ai rien vu ni entendu venir. Déjà, la veille, un collègue avait tenté la chose ; il sait que je sais ce qu'il est, aucun de nous deux ne s'en cache et c'est devenu un jeu entre nous : je provoque innocemment, il tombe naïvement dans le panneau, je le renvoie à ces chères études avec force démonstration de vulgarité. On en rit. Et ça s'arrête là, jusqu'à la prochaine manche du jeu. Mais là...
En fait, il y a plus de vingt ans que j'arrive à les éviter. Et maintenant je me crois à l'abri : l'âge, le mariage (visible !), les enfants, la dégaine pas franchement engageante, la vêture plutôt hommasse. Et puis, le petit bourg au fin fond de la campagne reculée, les déplacements uniquement en voiture, tout ça. Oh, il y a bien de temps en temps quelques regards, des amabilités, mais de bonne tenue, rien que de très social qui entretient les bonnes relations villageoises. Mais ce soir...
Un forum des associations, lieu idéal pour que les gamins choisissent — ou pas — leurs activités extrascolaires. L'ambiance est bon enfant, tout le monde se connaît au moins de vue, le nouveau maire fait le tour des popotes, les enfants vont d'un stand à l'autre saluer ceux qui les ont encadrés les années précédentes. Le temps est celui de la fin d'une journée printanière, le goûter est à leur disposition sur une table, tout va bien.
J'entame une longue discussion avec la présidente d'un club de sport, à propos de son fils, parti continuer faire ses études loin de l'autre côté de la montagne. On bavarde beaucoup et bien. Puis il arrive, salue la présidente, l'embrasse ainsi que sa voisine de table, se retourne vers moi : « Allez, je vous embrasse, tant que j'y suis, j'en profite, je ne vais pas me priver. » Et il me claque une bise sur chaque joue, et je sens son haleine empuantie de vinasse, et je sens sa main pesante sur mon épaule. Une fraction de seconde de trop. Je me recule, trois pas pour que sa main se détache enfin, je ne veux surtout pas le toucher. Mais je veux qu'il comprenne qu'il me dégoute, que même s'il a trop bu, il n'a aucune excuse, sauf celle de ne pas être fini, évolué. Dieu sait, comme on dit chez moi, que j'ai la bise et le contact physique facile — surtout avec les beaux mecs, hé — je suis une fille du sud ! Mais là... J'espère qu'elles ont vu que cet homme — que je ne connais pas — m'incommodait. J'ai tourné les talons, ramassé un gobelet que le vent du nord avait fait voler, surpris, avec un immense sourire, la barmaid draguant plus ou moins mon mari. Je suis passée à autre chose.

D'habitude, je les repère de loin, les pervers. Sauf que. Ce n'est pas un pervers. C'est un être humain resté à son état animal : un type qui a raté le train de l'évolution, un mec qui a suivi la spirale à contresens. Un involué.

24/08/2014 13:46

Projet Bradbury : impressions

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Le projet Bradbury (PB, pour les intimes) — qui n'en est plus un puisqu'en cours de réalisation, un peu moins de la moitié, un peu plus du tiers, au moment où j'écris ces quelques lignes — a été lancé en août 2013 par un écrivant — comme il le dit lui-même, ayant fait sienne la formulation de Martin WincklerNeil Jomunsi, un des noms de plume de Julien Simon — et un anagramme aussi... L'auteur a pris à la lettre les conseils de Monsieur Ray Bradbury : « Écrire un roman, c'est compliqué : vous pouvez passer un an, peut-être plus, sur quelque chose qui au final, sera raté. Écrivez des histoires courtes, une par semaine. Ainsi vous apprendrez votre métier d'écrivain. Au bout d'un an, vous aurez la joie d'avoir accompli quelque chose : vous aurez entre les mains 52 histoires courtes. Et je vous mets au défi d'en écrire 52 mauvaises. C'est impossible. »

Neil a eu l'excellente idée de proposer l'aventure à qui voulait bien s'abonner au projet et recevoir ainsi, en avant-première, une nouvelle chaque semaine. Un peu comme, en d'autres temps, on découvrait les romans de nos grands littérateurs publiés par épisode dans les journaux quotidiens. Et bien sûr cela lui permet de ne pas rester seul face à chaque nouvelle, de ne pas être tenté de la corriger, amender, modifier incessamment jusqu'à la rendre méconnaissable, puisqu'une fois parue, elle est à nous, lecteurs ; de recevoir des avis, critiques et impressions à chaque publication et d'avancer moins solitaire jusqu'à la prochaine station.

Je me suis abonnée en septembre. Et puisque l'auteur nous invitait dans son antre, je me suis autorisée à lui faire part de mes impressions, ci-dessous retranscrites, à partir de la septième nouvelle (par ordre antichronologique). D'autres avis sur le Projet Bradbury chez Natalia, Deidre, Jartagnan et Tulisquoi.

Les détails des nouvelles est ici et le bilan, .

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22/08/2014 22:08

Ray's Day 2014 - Chez les écrivains

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En cette première édition du Ray's Day qui se finit — oui, c'est presque Noël, avant l'heure — j'ai rassemblé ici mes impressions à la lecture de quelques pièces plutôt courtes, nouvelles ou novellas (c'est comme ça qu'on dit ?). J'ai retrouvé avec plaisir les auteurs qui m'avaient déjà séduite — Cécile Duquenne, Neil Jomunsi, Anne Rossi, Kylie Ravera ou Michael Roch — en ai découvert d'autres qui m'ont enchantée — Julie Decottignies, Simon Giraudot, Le Greg ou Violaine Paquet. Un autre article sera consacré aux textes (beaucoup) plus longs. Merci à tous ces auteurs qui ont fait de beaux cadeaux aux lecteurs assoiffés, en particuliers aux écrivains qui ont publié sur leur blog en accès libre et laissé leurs œuvres accessibles bien après le RD2014.

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Ray's Day 2014 - Chez les écrivains (encore)

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J'avoue avoir eu du mal à rentrer dans le récit, tant le début est très académique — ce qui n'est pas étonnant, eu égard à l'occupation diurne de l'auteur — expliquant par le menu l'organisation très structurée du vaisseau-monde dans lequel ce déroule la première partie du triptyque Néagè. L'histoire proprement dite démarre lentement, à mon goût ; la candeur des personnages m'a semblé un tantinet exagérée ainsi que les péripéties qui font avancer tant bien que mal les héros. Ce n'est qu'au début du troisième tiers, alors que l'action devient rapide, brutale, qu'enfin j'ai senti la palpitation de cette humanité en semi-perdition. Le style est simple et sert une histoire dans laquelle m'ont manqué épaisseur des protagonistes ou vibration des personnages. Ou je ne suis pas (plus) faite pour les récits à l'antique, les odyssées...

Dans la catégorie Histoires Extraordinaires, celle-ci tient bien sa place. Avec une bonne dose de fantastique, ou de SF, ou des deux. Un duo de personnages principaux, moins d'une dizaine de secondaires, un environnement tout ce qu'il y a de plus contemporain — star richissime de la chanson, émission de télé-réalité, villa somptueuse, île paradisiaque (enfin, presque) — tout est fait pour que le lecteur puisse s'identifier, éventuellement, aux protagonistes, bien que le futurisme technologique s'en mêle. Un peu. Beaucoup. La première partie du récit est presque banale, peut-être un peu longuette, et l'action devient débridée quand enfin le héros commence sa mission. Lutte pour sa survie, fuite devant les dangers de la nature — un peu aidé, quand même — jusqu'au combat que l'on croit être final. Et qu'il refuse. Et alors que l'on comprend que les deux personnages sont bien plus proches que l'on ne pouvait croire, la chute déboule brutalement, un couperet époustouflant, et nous laisse face à nos interrogations.

Une belle nouvelle, de bonne longueur, comme un écho à nos peurs du troisième millénaire. J'ai d'emblée été séduite par le style, descriptif, fourni, riche, qui distille bien l'atmosphère pesante post-apocalyptique. Les thèmes classiques comme l'Homme qui construit son propre malheur ou le héros sans grade sont présents et réconfortants — enfin, si l'on peut dire, vu le contexte... Inversement, la présence d'une héroïne salvatrice est une heureuse surprise. Le déroulé est vraiment trop rapide, à mon goût : alors que le début de l'histoire prend le temps d'installer le lecteur, la suite défile à toute vitesse, s'appuyant sur des rebondissements presque « attendus », et c'est dommage. Le récit ressemble davantage à un script d'un petit roman, d'un moyen métrage qu'à une nouvelle. Et si l'histoire est très sombre et lugubre, la chute laisse entrevoir quelque espoir en ce monde perdu. Bien aimé, comme on aime un fruit pas tout à fait mûr.

Ray's Day 2014

Ray's Day

Fête de la lecture, faites de la lecture, osez la lecture. J'ai osé tenter quelques petits trucs pour ce premier Ray's Day :

  • Ça, c'est fait :
    • mettre ma mère, ancienne bibliothécaire, toujours un bouquin à portée d'œil, à la lecture numérique (la preuve),
    • du coup, raconter pourquoi je lis ;
  • Ça, c'est à faire :
    • aller lire au parc public, avec un carton de bouquins « Servez-vous ! »,
    • construire une biblioboîte et la planter à l'entrée du chemin.

On va dire que le défi est à moitié relevé ^^

Le premier vingt-deux

Il paraît que c'est plus bruyant que le métro aux heures de pointe. Et que la bousculade y est encore plus grande. Je ne sais pas. Je ne sais pas ce que ça veut dire. Ça bouge dans tous les sens, ma tête cogne contre une surface souple et ferme, mes membres sont ballotés de droite et de gauche. Je bois souvent la tasse, mais c'est comme d'habitude. J'ai mal aux oreilles, mon tympan s'agite frénétiquement, ça bourdonne et de temps en temps ça crisse. Maintenant, là, alors que tu me lis, je sais mettre des mots sur ce que je ressentais, mais à l'époque, à l'époque...

À l'époque, j'étais inconsciente, mon cerveau n'était pas capable d'analyser toutes les informations que mes capteurs physiques lui envoyaient. Je ne savais que sentir : je ne savais rien, je ne comprenais rien. Je flottais dans un bouillon aux goûts bizarres et ondoyants ; il y faisait sombre, si tant est que la lumière eût une signification ; le liquide remuait au rythme de mouvements extérieurs dont je ne réussissais pas à déterminer l'origine. Je l'agitais parfois, lorsque je m'y ébattais, lançant coups de pieds et de poings, frétillant d'angoisse. De temps en temps, mon vaisseau se calmait, le brouhaha s'y faisait tenu et il me semblait percevoir un chant léger, modulé, sur fond de musique froissée. Je me sentais de plus en plus à l'étroit dans mon cocon, jusqu'à ce qu'il m'expulsât, un soir au goût de l'été qui arrivait : il faisait froid et sec dans ce nouveau monde, mais au moins, il était grand ! C'était un univers rempli de nouveautés, agréables sensations et de traumatismes : un bouleversement, en somme. Tout attachée à découvrir ce nouvel espace et les êtres qui le peuplaient, j'avais oublié le son de l'habitude. Ce n'est que bien plus tard, un soir, que j'entendis de nouveau cette chanson douce et cette mélodie parcheminée : ma mère lisait à mi-voix un livre donc elle tournait les pages en les faisant glisser les unes sur les autres. Il paraît que j'adorais l'imiter, dressée sur mon séant dans mon berceau, mon bouquin en tissu bien en mains — et à l'envers ! — droit devant mes yeux. Puis je suis allée à l'école, puis j'ai appris à lire : et mon univers s'est dilaté[1].

Le premier livre dont je me souviens avec précision racontait l'histoire de petits hommes dans une grande maison familiale où régnait un chat. Il me suit depuis plus de quarante ans, au gré des déménagements successifs : je viens d'aller le chercher sur une étagère de ma bibliothèque, son dépôt l'égal date de 1969. Il s'agit de Monsieur Ouipala, d'Annie M. G. Schmith (trad. Suzanne Hiltermann et Isabelle Jan, ill. Jacqueline Duhème) . Ensuite vient Au nom de tous les miens (Martin Gray), que je lisais alors que tournait en boucle l'album Métamorphosis : les deux sont irrémédiablement liés dans ma mémoire. Puis Chroniques martiennes (je ne te ferai pas l'affront de te dire qu'il a été écrit par un certain Ray Bradbury) : c'est LE texte qui m'a accrochée à la science-fiction pour ne plus jamais la quitter. Entre temps, la section moins de quinze ans de la bibliothèque dont ma mère assurait la direction a fermé. Les ouvrages devaient partir à la poubelle — quelle horreur[2] ! — j'ai donc fait le plein d'ouvrages dont quelques pépites comme Bilbo le Hobbit ou Au Carrefour des étoiles. Après, il y en a eu tellement, que je ne sais plus, et comme ça va de la collection Harlequin à la Bible ou au Coran, que ma mémoire est un vrai emmenthal, je ne saurais dire. Peut-être, s'il en faut un, un texte de John Irving comme Une veuve de papier, par exemple. Et s'il faut un cycle, celui des Robots et de Fondation (d'Isaac Azimov, faut-il le rappeler).

Tiens, puisqu'on est vendredi, je livre mon #vendredilecture :

  • Le trône de fer (Georges R. R. Martin, au cas où tu ne suivrais pas) intégrale 3 VF (oui, je sais !)
  • Adultère (Paulo Coelho)
  • PB#... Ah non, on est vendredi, mais PB53 ne paraîtra jamais. Alors, Le meilleur pour le pire — aka RD#1 (Neil Jomunsi)

Pourquoi je raconte tout ça ? Primo[3], parce que c'est le Ray's Day, tu suis ? Ensuite, parce que j'ai une confession à faire, même si on n'est pas jeudi : je n'ai aucun mérite. Je n'ai aucun mérite à lire. T'imagines-tu ne pas respirer, manger ou parler ? Non, bien sûr. Lire est de même nature pour moi : une fonctionnalité profondément inscrite dans mes gènes d'humaine, qui m'a été donnée dès ma conception, qui a doucement mijoté dans mon bain primordial, dont je me suis nourrie avec le lait de ma mère, qui fait du cosmos connu et inconnu un ridicule petit pois à côté des multivers logés dans les textes. Je n'ai aucun mérite à lire.

Notes

[1] une fois que tu as appris à lire, tu ne peux pas t'empêcher de lire tout ce qui te tombe sous l'œil, même en langue étrangère, même le panneau de pub. le plus débile de l'Univers et des environs. Fais-en donc l'expérience.

[2] je ne supporte pas de jeter des livres et quand ils n'en peuvent plus, j'en fais, par exemple, ça

[3] pas Levi.

17/07/2014 16:28

1Q84 — trilogie (Haruki Murakami ; trad. fr. Hélène Morita)

1Q84

À sa sortie, j'avais été attirée par la couverture sobre mise en exergue dans une librairie à vivre. Vaincue par la taille de ma pile à lire[1], je n'avais osé m'adonner au tsundoku, puis récemment, j'ai trouvé une raison suffisante pour me laisser tenter.

L'histoire est racontée du point de vue des deux héros, un homme, Tengo, et une femme, Aomamé[2], la trentaine alerte. Dans les deux premiers livres, les chapitres alternent entre les deux points de vue ; dans le troisième, un autre personnage fait sa (plus ou moins) brève apparition. Le récit progresse donc lentement, il boucle parfois, se répète, comme pour bien signifier que il y a un élément important. J'ai été un peu déçue par le style (celui de la traduction française, tout du moins) direct, concis, bref, assez pauvre à mon goût. Il me fait penser à un oiseau qui picore, du bout du bec, à petits coups rapides. C'est bien sûr lui qui donne son rythme, sa respiration, au conte, outre l'intrigue, bien entendu ! Il me fait également penser à celui que l'on utilise lorsque l'on rumine, et c'est bien un peu de ça qu'il s'agit. Il est parfois répétitif, comme le sont certains passages qui ne font que rappeler les événements passés : il s'agit encore des mécanismes que l'on utilise dans l'introspection, lorsque l'on se répète à l'envi ce qui s'est passé, comment cela aurait pu se passer, comment cela se passera si... Et si ?
J'ai relevé quelques formules qui m'ont marquée (outre celle-ci) :

  • Livre 1 :
    • « Vous êtes tous prisonniers du lieu, vous n'irez nulle part. Vous ne pouvez même pas reculer. Mais moi non. Moi, j'ai un travail à achever. Une mission à accomplir. C'est pourquoi je me suis autorisée à avancer. » (Aomamé)
    • « C'est comme un petit animal apeuré tapi dans un trou profond, qui aimerait s'enfuir, mais qui n'arrive pas à s'échapper. Tu sais qu'il est caché là, au fond. Mais tant qu'il ne sort pas, tu ne pourras pas l'attraper. » (Komatsu)
  • Livre 3 :
    • « Elle lui apparaissait comme un papillon rare et exotique que l'on peut contempler mais dont il ne faut pas s'approcher. Si on l'effleure, il meurt en même temps que s'évanouissent son éclat et son naturel. Le rêve exotique s'achève. » (Ushikawa)
    • « Dès que l'espérance se lève, le cœur se met en mouvement. Et quand les espoirs ont été trahis, vient le découragement. Le découragement appelle l'impuissance. On baisse sa garde par imprudence. Là réside pour moi maintenant le plus grand péril. » (Aomamé)
    • « — De quelle distance parlez-vous ? — Une distance qui ne se mesure pas. — Comme celle qui sépare le cœur des hommes. » (Tamaru, Aomamé)

Quant au fond de l'histoire, dire que c'est un conte philosophique et fantastique serait certes commode, mais trop lapidaire pour restituer la richesse de l'œuvre. Si riche que l'on peut y trouver plusieurs genres[3] : genre policier (meurtres et enquêtes) ; érotique voire pornographique descriptif ; romance (un des fils conducteurs) ; fantastique et merveilleux (au sens de la SFFF ; un autre fil conducteur) ; militant (lutte contre la violence sexiste ou sectaire) ; introspectif (à propos du métier d'écrivain, par exemple, ou de sa propre vie). L'intrigue est simple : vingt ans après, deux êtres qui se sont rencontrés très brièvement mais de manière très forte, dense, seront-ils capables de se retrouver, intacts bien que modelés par la vie ? Lui, Tengo, promis à un avenir brillant, mène une vie simple, bien réglée, presque monotone, comme s'il la subissait, jusqu'à ce que la fantaisie fasse irruption dans son quotidien. Elle, Aomamé, destinée à une existence routinière, mène rondement son quotidien, agité, accumulant les aventures (de tous ordres) et les défis, jusqu'à l'ultime. Un homme faible, une femme forte ? Le Ying et le Yang ? Pas sûr, mais j'aime bien l'idée que ces êtres sont les deux faces, les deux parties d'un quelqu'un, qui se doivent d'être réunies. Sinon la vie n'a pas de sens. À ce propos, romantique ou sublime, s'ajoute, comme une basse continue, celui de la féérie, du merveilleux, du mystère : comment sommes-nous capables d'intriquer ce qui nous semble surnaturel et ce qui nous paraît être la vie réelle ? La forme narrative fait la part belle à la réflexion sur le temps (qui passe ou qui boucle ?) et les étapes de nos vies : comme une quête initiatique, voire un jeu de rôle, chaque héros accède à la suite de sa vie (au niveau suivant ?) lorsqu'il y a été soumis à une épreuve (intrinsèque ou imposée) qu'il a assimilée avec brio. Et tant qu'il est coincé dans un épisode, il rumine. Et le récit boucle. Mais il met en évidence que la rumination (analytique) est indispensable pour que le temps se débloque et que la vie s'écoule. Parfois, on aimerait bien connaître également le destin de ceux et celles qui les ont aidés à franchir les étapes : on reste quelquefois sur sa faim quant au devenir de certains personnages dits secondaires.

C'est le premier Murakami que je lis[4] et j'ai été triste de quitter Tengo et Aomamé. Parce qu'ils continuent de vivre loin de mon regard. Parce que leur histoire résonne très douloureusement en moi, comme les reflets d'un paradis rêvé et aussitôt perdu.

Notes

[1] J'ai aussi la sale manie d'acheter le moins de livres possible à leur sortie, comme si je les laissais faire leur chemin jusqu'à moi...

[2] Je ne sais si quel est l'usage japonais des noms propres, mais le héros est nommé par son prénom et l'héroïne, par son patronyme.

[3] Ce qui décevra certainement les fans d'un seul de ces genres.

[4] Personne n'est parfait, en ce bas monde.

11/06/2014 18:55

Lumineuse toile

  • @kindiaFi : Parfois, pour un peu qu'on y prenne garde, on peut presque voir les liens lumineux qui nous unissent à une personne. Comme des fils de soie[1]
  • @Le_Choupignon : les fils de soi...[2]

01/06/2014 14:29

Liberté : à quel prix ?

C'est avec grand intérêt que j'ai lu la tribune co-signée par Laurent Chemla et Éric Walter à propos de héros d'Internet fatigués. Si la conclusion n'est pas étonnante, j'étais curieuse de découvrir le fruit d'une alliance aussi naturelle que celle de la carpe de l'ours et du lapin. Un passage a particulièrement attiré mon attention

On peut imaginer qu'en voyant le public s'emparer massivement des outils d'autopublication, on n'a pas vu venir le temps des réseaux sociaux fermés : pourquoi les gens iraient-ils s'enfermer dans des environnements privateurs de libertés quand ils ont l'infinité de l'espace électronique à leur disposition ?

Pourquoi les humains, ayant enfin un formidable outil de liberté (d'expression) se réfugient-ils dans un cadre qui leur est imposé et dont les limites sont de plus en plus resserrées, de plus en plus attentatoires à leur intimité ? Qu'y a-t-il au delà de l'antienne Une grande liberté implique une grande responsabilité ?

Imagine-toi, quand t'es dans le désert, de sable ou de glace depuis trop longtemps, sans repère, balise ou limite : tu te sens... mal. Tu n'as plus de limite à transgresser, personne ne t'impose quoi que ce soit : tu dois, toi-même, seul et en conscience, te contraindre, te construire un cadre, t'autonomiser. Tu ne sais pas faire, tu n'es qu'un grain parmi le autres, qu'un cristal, blanc sur blanc. Tu es seul, renvoyé à ta propre insignifiance au milieu d'un rien minéral qui ne renvoie aucune image, aucun son. Bref, tu es perdu[1]. Et puis on t'offre une oasis, un refuge, des murs que l'on a construit pour toi : soulagé, tu t'y précipites, troquant un peu beaucoup de ta liberté contre un sentiment de sécurité, juste une sensation...

J'ai récemment lu un article démolissant de façon un peu caricaturale le mode d'éducation suédois. Je passe outre les évidences qui ne méritent pas de discussion et qui ne sont que le reflet du respect que l'on doit à tout être humain mais de la même manière que le message de Françoise Dolto a été très mal interprété, il semble que la pratique de l'écoute active ne se résume plus qu'à l'écoute...

Il faut un cadre, pour pouvoir s'y ébattre en toute liberté et lorsque l'on a acquis les moyens - physiques, psychologiques, etc. - de dépasser le cadre imposé, on s'en crée un autre. Le public d'internautes, dont parlent Laurent et Éric, ne semble pas encore avoir assez d'imagination et de confiance en soi pour bâtir ses propres limites.

01/04/2014 16:37

Les enfants du feu (Anne Rossi)

enfantsfeu.jpg

Je suis tombée dans la lecture numérique à cause de deux fourbes compères[1] et j'ai commencé à écumer les bons éditeurs et les bonnes librairies de ce domaine[2]. Je vais donc me fournir chez 7switch qui fournit des livres élevés sous la mère et dont certains sont garantis sans OGM, euh... DRM[3]. Et comme tout bon consommateur qui se respecte[4], j'ai cherché des ouvrages gratuits[5], plutôt des premiers tomes de séries SFFF. J'ai donc récupéré Les enfants du feu N°1, d'Anne Rossi, dont le résumé et l'extrait sont prometteurs.

Ce premier épisode est bien bâti, mettant en place les personnages principaux, le thème central (les Écailleux aux pouvoirs surnaturels, la magie), même si l'on a l'impression d'être jeté en pleine histoire commencée plus tôt. Ce premier tome m'a tellement ravie que j'ai acquis tous les autres épisodes de la série[6]. J'ai un peu déchanté à la lecture du deuxième épisode : il m'a semblé poussif, j'ai eu du mal à le finir, mais je l'avais, alors, autant le lire. Les suivants ont été littéralement dévorés !

Longtemps avant les Passeurs d'ombre, un dragon-soleil brillait dans le ciel. Les hommes régnaient alors sans partage sur la terre. À la lumière de l'astre reptilien, s'était épanouie une brillante civilisation. L'Empire étendait son aile armée sur d'immenses territoires, où il faisait régner la paix et la prospérité. Puis un jour, le dragon-soleil commença à perdre ses écailles. Chaque être humain touché par la chute de l'une d'elle se transformait en autre chose.

Ainsi commence la présentation du premier épisode. Le toucher de l'écaille confère aux êtres humains des pouvoirs magiques : vision des auras, maîtrise de la foudre, télépathie, métamorphismes en tout genre (et pas forcément des plus gentils), végétalisation en accéléré, etc. La société humaine « normale » rejette ces êtres augmentés qui s'exilent vers leur terre promise au delà des mers connues. Au cours de leur voyage maritime, à la manière d'Hercule, les parias doivent engager le combat avec divers monstres pour atteindre l'étape, j'allais dire le niveau, suivant : c'est ainsi qu'ils affrontent un léviathan, un tigre mangeur d'homme, des sirènes ensorcelantes (tautologie), des pirates, une licorne (pas gentille du tout). Sur chaque île qu'ils abordent au cours de leur périple, nos multiples héros découvrent un des leurs, fée, vampire ou métamorphe, qu'ils embarquent volontiers avec eux. Au long des sept (comme c'est bizarre...) épisodes, chacun consacré aux exploits d'un ou une écailleuses, on baigne dans la fantasy et la romance (puisque c'est dans cette catégorie que l'auteur classe sa série), romance qui unit à chaque fois des couples improbables, romance parfois torride...

C'est une histoire qui m'a fait passer un très bon moment, complètement déconnectée du réel, exactement ce dont j'avais besoin au moment de la lire : c'est un très beau conte pour enfant éternelle adolescente.

Notes

[1] @TheSFReader et Neil Jomunsi, bien sûr !

[2] Suivant fidèlement les conseils du lecteur fou : lui

[3] En revanche, pas encore réussi à dompter le moteur de recherche du nid :-(.

[4] Faut bien endosser ce rôle, de temps en temps, histoire de voir « comment ça fait ».

[5] Sérieusement, ce n'est pas une histoire de fric : je suis capable de claquer un bon paquet de fric dans chaque librairie dans laquelle je rentre. À chaque fois, ma carte bleue en sort toute ramollie d'avoir tant chauffé. Et si c'était une histoire de fric, je ne me serais pas abonnée au Projet Bradbury, poussée par le bec à oreille.

[6] Tu vois, ce n'est pas une histoire de littérature gratuite.

27/01/2014 22:18

Sortir du troupeau ?

Cela fait quelques jours que cet onglet est ouvert dans mon navigateur préféré (et homonyme). Je ne sais plus pour quelle raison j'ai cliqué sur ce lien que j'ai vu passer dans mon fil Twitter ; probablement du fait du nom du compte qui l'a rediffusé, ou peut-être du commentaire qui l'accompagnait : la motivation s'est perdue dans les limbes de mon hypomnésie[1].

Quoi qu'il en soit, le titre de ce billet, Non à la rééducation, paraissait incongru alors qu'il est publié sur le site du Figaro et par un de ses rédac. chef adjoint, qui plus est ! Comment un tel organe de presse peut-il s'opposer à ce que réclament sans cesse ses lecteurs fidèles ? Peut-être sera-ce un éditorial traitant d'économie politique et fustigeant un retour à la réglementation excessive qui entrave le potentiel novateur de nos entreprises créatrices de croissance et d'emplois[2] ? Que nenni[3] ! Il s'agit de s'insurger contre quelques avancées sociopolitiques de ce début de millénaire, pas moins ! Alors, le titre est... particulièrement mal choisi. Je m'explique.

De mon temps[4], qui est le même que celui de l'auteur de l'édito., soit dit en passant, les maisons de ré-éducation visaient à remettre dans le droit chemin, le chemin commun, ceux qui s'en détournaient par les actes ou les paroles, voire les pensées ; elles disciplinaient les sauvageons[5] La ré-éducation implique qu'il y ait eu une éducation préalable, qui s'est perdue et qu'il faut ré-injecter dans l'esprit vagabond du déviant. Sauf que. Sauf que l'auteur prétend que les lois progressistes actuelles sont celles par lesquelles nos mentalités vont être ré-éduquées. Faudrait savoir : c'est progressiste (alors il ne s'agit pas de ré-éducation) ou c'est passéiste ? Parce que, sauf à remonter à la Première République[6], et encore, jamais femmes et hommes[7] n'ont eu autant de droits et de devoirs identiques[8]. J'en conclus que le terme rééducation n'est pas le plus approprié en l'espèce, n'est-ce pas[9] ?

Mais alors, que craint l'éditorialiste ? Que chacun puisse faire comme les autres ? Que chacun puisse penser à sa vie personnelle avant de songer à celle des autres ? Que chacun puisse avoir les mêmes privilèges que... lui ? Que chacun soit aussi individualiste que lui ? Comment peut-il s'étonner, alors que la société humaine[10] est individualiste, comme l'est la majorité des lecteurs fidèles de son journal, que les lois de la République s'adaptent à la conformation de la société ? Il me paraît toujours incompréhensible qu'humanisme et catholicisme[11] ne riment pas dans les actes et les paroles[12]...

Peut-être craint-il de voir dans chaque individu, uniquement un être humain, sans considération de genre, de couleur de peau, de taille, d'âge, d'activité ; un être humain qui a autant de droits et de devoirs qu'un autre être humain ; un être humain qu'il ne pourra faire rentrer dans aucune case de son système de classement personnel ? La peur de l'autre, cet inconnu[13] [14] ?

Notes

[1] si tu as la clé, déchiffre ; sinon, contente-toi de décrypter.

[2] non, je n'ai pas fait tourner le pipotron. Et ça se voit.

[3] hum.

[4] yep, chuis une vieille.

[5] toute allusion aux paroles d'un célèbre ministre revenu d'entre les morts (non, pas Lazare) est délibérée.

[6] avant 1804, avant le Code dit Napoléon, où, de mémoire, pour le divorce, par exemple, épouse et époux avaient les mêmes droits.

[7] keep calm, it's just the alphabetic order.

[8] même s'il y a encore d'un boulot.

[9] la question est toute rhétorique, je ne t'oblige pas à répondre, mais ne te l'interdis pas non plus !

[10] l'actuelle tout comme celle de Socrate.

[11] catholique, ça signifie universel, je te rappelle.

[12] bisounourse un jour...

[13] tu y mets ce que tu veux, comme références.

[14] j'ai quand même réussi à placer 14 notes de bas de page dans un texte d'à peine 20 lignes : faut dire que je parle beaucoup à mon for (non, pas Nelson, et non, il n'y pas de faute).

01/01/2014 00:00

Allez, bonne année quand même ?

Mon ancêtre, Joël Noyeux[1], aime à se faire chroniqueur de la vie de son bourg. Dans son livre de vie, un premier janvier, on découvre ce récit.

Malgré l'hiver qui est venu, les temps sont moins froids et les jours moins obscurs, même si des vieillards sont partis et des hommes perdus à jamais pour les leurs. Au bout du village, dans son château — comme les enfants nomment sa coquette bâtisse bourgeoise — Hécate geint sans cesse : l'esprit de cette plus que centenaire bat la campagne et ressasse les belles histoires du temps passé. Elle saoule Artemis, sa jeune servante de ses souvenirs qui pétillent comme le frais champagne coulant à flot au milieu des fêtes passées.

— Quand j'étais jeune, vois-tu ma petite Artémis, la roseraie embaumait de mars à novembre et tous les jours, Andéméon, mon défunt jardinier adoré...

Ce matin-là, elle ne peut continuer à dévider ses souvenirs dans l'oreille de la soubrette, tant les larmes envahissent ses yeux et les sanglots serrent sa gorge.

— Mère, je n'en puis plus ! s'écrie Artémis, courue se réfugier dans le giron de Solène. J'en ai assez d'entendre les plaintes de cette vieille rombière. Mais quoi ? Elle a toujours eu la vie facile, confortable : une belle maison, un époux avenant et bien pourvu, une domesticité nombreuse et prévenante, s'activant jours et nuits sous la férule de la gouvernante, fille de sa nourrice. Elle n'a jamais eu à tirer l'aiguille, ne sait ce qu'est s'occuper d'enfants : son seul souci quotidien est de choisir, sans faire de faute de goût, l'épingle à chapeau assortie à son mantel. Elle ne s'intéresse à rien d'autre qu'elle, elle

— Ma fille, ma fille, je te sens agacée par les gémissements de la vieille dame, mais vois-tu, comme tu le dis, elle ne peut trouver d'autre plaisir que la satisfaction de s'occuper d'elle. Toute sa vie tourne autour de sa propre personne : ne crois-tu pas que son champ d'expérience en est tout autant limité ? Et malgré l'insondable profondeur de la nature humaine, crois-moi, elle en a eu vite fait le tour. Et cela ne fait pas son bonheur. À bien y penser, on peut même dire qu'elle est malheureuse.

— Mère ! Comment peut-on dire ça ? Certes son époux n'est plus, mais il n'a pas disparu sans laisser de traces, comme notre père : il s'est éteint, dans ses bras, qui plus est ! au terme d'une vie commune et paisible avec sa chère épouse. Elle n'a pas eu la douleur de perdre des fils dans la force de l'âge, de fermer les yeux d'une fille qui aura six ans éternellement. Son dos est droit et la peau de ses mains est fine et douce. La nuit, elle dort, elle ne

— Ma fille, sous-entendrais-tu que je me dois d'être plus malheureuse qu'elle puisque la vie m'a offert les épreuves que tu décris ? C'est bien ça ? Sache que ce fût une cavalière émérite, aguerrie et agile : en cadeau de noces, son cher époux lui a offert le plus beau des haras avec les plus belles bêtes que l'on puisse trouver dans nos contrées. Il fallait la voir, à travers les brumes de l'aurore, chevaucher sa jument grise ou son étalon noir et filer dans les chemins, au milieu des baliveaux, s'épuisant dans une course qui la laissait pantelante de plaisir. Il fût un jour où son état devint intéressant. Son époux lui ferma alors les portes de l'écurie : cela la rendit folle de manque. S'attachant la complicité de quelque palefrenier béat, elle passa outre l'interdiction maritale et maintint ses chevauchées matinales. Jusqu'à chuter, un jour, assez lourdement pour la laisser inconsciente au bord d'une ravine : elle perdit l'enfant qu'elle portait. Par deux fois encore, elle fût grosse et par deux fois aussi, les cavalcades furent fatales à son enfant. Le médecin lui ôta tout espoir de procréer à nouveau, d'avoir une descendance, de laisser une trace sur cette terre. Voilà son plus grand malheur : elle s'est dépossédée de tout espoir d'être utile à plus nécessiteux qu'elle, de se nourrir du bonheur d'un enfant, de l'aider à sortir du troupeau. Saisis-tu, ma fille, l'illusion dans laquelle elle te maintient, l'apparence qu'elle s'octroie pour cacher sa misère ?

— Mère, c'est triste... Cependant, je ne comprends pas pour quelle raison elle ne s'est pas tournée vers d'autres objets de son désir de bienveillance ? N'aurait-elle pu s'accomplir dans quelque œuvre de charité, quelque action de bienfaisance ?

— Son époux, la voyant si défaite, n'a eu de cesse que de vouloir combler cette carence affective par une débauche de richesses matérielles : cela a été son plus grand tort. Elle a été ensevelie, étouffée par l'opulence : le ressort en elle s'est brisé, volatilisé. Elle est devenue une coquille brillante, étincelante, un personnage, simplement bon à donner le change.

Le silence enveloppe les deux femmes : on y entend leur compassion pour leur semblable en fin de vie, seulement bonne à refléter un mirage.

— Mère, reprend Artémis, c'est aussi commode pour elle, que de se complaire dans la mélancolie : ainsi, elle peut se plaindre et se faire plaindre. Mais cela ne prend pas, avec moi ! Elle n'a eu qu'à souffrir d'un petit malheur, compensé par de muliples petits bonheurs !

— Ma fille, il n'y a pas de petits bobos : la raison voudrait nous faire accroire qu'une grande infortune cause une grande affliction. Ce n'est pas le cas : du moment où le sort s'acharne, de la manière dont nous recevons ses coups dépend la détresse que nous en éprouverons. Ton père, tes frères, ta sœur s'en sont allés : nous avons vécu à leurs côtés, nous pouvons les faire revivre à notre guise, dans nos rêves et nos pensées, entendre leurs rires, nous repaître de leurs sourires, nous laisser émerveiller par leurs regards, même s'ils nous manquent désespérément. Nous avons toute matière à les ré-inventer indéfiniment. Elle, ne peut : ses enfants resterons des inconnus pour l'éternité. Comprends-tu ? Toute peine est respectable, quelle que soit l'intensité de sa cause : tu ne peux ainsi tourner le dos à Hécate, ma fille. Écoute-la, entends-la. Va, maintenant.

Au bout, du village, dans le château, on entend des rires d'enfants. Si l'on pénètre dans le jardin, on aperçoit, confortablement installée sur la terrasse, aux côtés d'une claire et fine Artémis lumineuse, une vieille dame aux joues roses et lisses, au yeux pétillants, aux lèvres étirées par un léger sourire, au corps repu de bonheur : une Hécate nouvelle.

Note

[1] dont je t'ai déjà parlé ici

09/12/2013 15:28

Nouveau

Via nos chers amis à la langue bien pointue, une miette succulente pour le bec de la plume :

« nouveau antéposé définit simplement un numéro d'ordre dans une série d'objets semblables, alors que nouveau postposé insiste sur le caractère unique et inédit d'un objet déterminé » (In Dupré, Encyclopédie du bon français dans l'usage contemporain, Editions de Trévise, 1972.)

Du coup, la rubrique est nouvelle, elle aussi...

31/10/2013 21:16

Qui est violent ?

Je viens de rencontrer, fortuitement, la fille d'amis qui est en deuxième année de prépa. HEC. Après les banalités d'usage, je lui demande comment se passent ses années post-bac ; ce qu'elle me raconte me fait froid dans le dos :

  • la première année, elle a tout donné à ses études, bossé 20h/24, abandonné tout activité sociale, culturelle et sportive (équitation de haut niveau et piano en virtuose) ;
  • pendant cette première année, qu'elle a réussie avec brio, elle a eu un prof. de math. absolument génial, qui était imprégné de sa discipline comme moi je le suis de sueur après avoir jardiné. Elle avait aussi des listes de mots étrangers à apprendre par cœur[1], 4 ou 5 devoirs à rendre par semaine, des DS 3 ou 4 après-midi par semaine, des khôles, etc. : rien que du très courant ;
  • en deuxième année, elle bosse tout autant : le prof. de français fait des interro. surprises pour lesquelles elle obtient des notes catastrophiques parce qu'elle n'a pas la bonne méthode[2] et une fois qu'elle l'a trouvée[3], elle obtient la meilleure note de la classe[4];
  • en math., les exercices à rendre pour la veille pleuvent, donc ils ne sont jamais faits pour le cours suivant, donc la prof. traite les élèves comme des moins que rien, des nuls, des qui n'arriveront jamais à rien s'ils n'y mettent pas un peu du leur ; elle m'explique que la dite prof. a beaucoup bossé pour en arriver où elle est[5] (à la différence du prof. de l'année précédente, si tu as bien suivi...) et que donc, c'est normal qu'elle les traite comme elle le fait.

Je ne peux m'empêcher de m'écrier que je ne supporte pas ce management par la contrainte et la peur. Et c'est alors que l'illumination se fait : depuis longtemps, on dit que la société est violente ; certes les raisons en sont multiples., mais nos élites dirigeantes sont bien issues des grandes écoles et des classes prépa. préalables, non ? Donc, ils ne font que répéter les schémas auxquels ils ont été soumis... Dur de réaliser ça de façon si abrupte. Surtout que dans mon entourage, gravitent des ingé. et autres haut-fonctionnaires qui ne sont pas déshumanisés du tout : bizarrement, ils se sont expatriés, pour la plupart...

La conversation dérive alors vers une affaire d'expulsion du territoire où un préfet, personnifiant l'autorité détentrice de la loi, use de violence envers un contrevenant à la dite loi. Je m'interroge alors à haute voix : « Pourquoi donc des personnes en position dominante (prof., autorité administrative) se sentent obligées de faire usage de violence envers ceux qui sont dominés (élèves, justiciable) » Plus généralement, pourquoi la violence se manifeste-t-elle très souvent de la part d'un dominant envers un dominé ? Alors que la personne qui domine, qui détient l'autorité, n'a pas besoin de faire montre de violence pour être obéie (la plupart du temps). Alors pourquoi (et pour quoi) se sent-elle obligée d'être violente pour s'affirmer ?

La violence de la société n'est plus du fait des soumis révoltés mais de leurs dirigeants. Trouillards de perdre leur pouvoir[6] ?

Veule est la créature qui mesure sa force à la faiblesse d'autrui.

Notes

[1] à quoi ça sert ???

[2] Il sert à quoi, le prof. alors ?

[3] toute seule, donc

[4] 12/20 ; no comment...

[5] un jour, je te raconterai ce que je pense de l'expression « C'est une bosseuse : elle a beaucoup travaillé pour réussir » (on dit rarement ça d'un mec, auras-tu noté)

[6] un jour, j'essaierai de comprendre pourquoi les hommes sont violents envers les femmes

13/10/2013 22:41

Plus jamais ça ? Vraiment ?

C'est une chose qui doit être faite, parce qu'elle est utile ou nécessaire. Manque d'envie et de motivation ; détrônée par d'autres occupations plus intéressantes, davantage valorisantes, ou infiniment plus plaisantes : elle reste en l'état. Elle occupe l'espace, le temps, jusqu'à devenir monstrueusement envahissante. Elle est, indispensable, question de vie, de survie : il faut la réaliser ! Elle étire alors le présent - cette durée qui aurait été minime si elle avait été faite au fils du temps - elle pèse sur les épaules, elle courbe l'échine du pauvre hère, elle tord les mains et fait pleurer. Et la fin s'éloigne toujours plus. Alors que le second souffle se fait ivresse, que la tête tourne, que Sisyphe règne en maître, elle est accomplie, finie, plus à faire ; un cri : « Plus jamais ça ! » La suivante est prestement emballée ; celle d'après, un peu moins rapidement ; les autres... Bah, pour les autres, on verra plus tard...

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